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ne serait pas sans provoquer des jalousies et des défiances, sans soulever des conflits redoutables, qu’on soumettrait à un corps judiciaire, sous une forme doctrinale, des propositions politiques ; et tout spécialement dans une démocratie. « Dans les gouvernemens populaires, la crainte ou l’envie de toute autorité qui ne serait point directement déléguée par le peuple est cause que la solution de la difficulté a été trop souvent abandonnée au hasard ou à l’arbitrage des armes. »

Et sans doute, quand il rêve une cour de justice chargée de décider sur les prétendues violations d’une règle ou d’un principe constitutionnel, « l’étranger » pense naturellement à une de ces consultations politico-judiciaires en forme doctrinale ; et c’est pourquoi il n’a rien contre une violation possible de la Constitution que « le hasard ou l’arbitrage des armes ; » c’est pourquoi il n’a, tout au plus, contre ces transgressions possibles, que les fabricans de constitutions sont partout obligés de prévoir, que des sanctions de droit criminel, comme la mise en accusation du coupable, et non pas une sanction de droit civil. Mais les Américains ont vu le piège : ils n’y sont point tombés ; et c’est pourquoi ils ont, contre les violations de la Constitution, autre chose que l’inutile et impuissante sonorité d’une déclaration des droits du citoyen, autre chose que le hasard, autre chose que l’insurrection, autre chose qu’une sanction, — toujours un peu fictive et qui souvent, si elle n’était pas fictive, serait excessive, et qui, étant souvent excessive, est la plupart du temps caduque, — de droit criminel : c’est pourquoi ils ont, contre toute tentative d’usurpation de l’exécutif ou du législatif, une sanction de droit civil.

C’est pourquoi encore les Américains, ayant un moyen pratique de maintenir le législatif dans les bornes que la Constitution lui a tracées, restent fidèles au système, conçu par eux comme idéal, de parlementarisme limité, « système dans lequel, par extension, tous les juges, soit fédéraux, soit d’Etat, ont le pouvoir, en leurs sphères respectives, de prononcer sur la validité de chaque loi, qu’elle émane de la législature fédérale ou d’une législature d’État[1] ; » à la différence du système anglais, où la Constitution n’impose point de frontières à l’assemblée législative et qui aboutit à un parlementarisme illimité ; à la différence, surtout, des

  1. Hannis Taylor, The Origin and Growth of the english Constitution. Part I, The Making of the Constitution. Introduction, English Origin of the federal Republic of the United States, p. 72-74.