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seulement les hommes politiques et les orateurs, c’étaient aussi les savans, et la plus illustre de leurs assemblées, l’Institut de France. C’était d’eux que devait partir « l’impulsion de l’esprit national. » Ils avaient pour mission de conserver les vrais principes de la Révolution de France. Ils représentaient la plus haute puissance morale de la nation ; ils étaient comme la garde et le rempart de la cité, ἔρυμα τῆς πόλεως, disait le vieil Eschyle en parlant de l’Aréopage. Et Mme de Staël citait avec enthousiasme l’exemple de Bonaparte, qu’elle admire à cette époque sans réserve, et qui, en se faisant recevoir de l’Institut, avait « montré à l’opinion publique sa véritable route. »

Mais, comme Mme de Staël le fera remarquer bientôt dans son livre De la Littérature, c’est moins aux sciences positives qu’à la philosophie, qu’à la littérature qu’il appartient de diriger l’esprit public. En effet, les sciences positives sont indépendantes des idées morales ; elles détournent de l’étude de l’homme et des passions ; elles s’accommodent fort bien du despotisme, qui leur assure le loisir et la paix. Au contraire, la philosophie, l’éloquence sont propres à former l’âme de la nation ; elles sont, suivant la belle expression du livre De la Littérature, « la véritable garantie de la liberté. » C’est la raison pour laquelle Bonaparte préférera toujours les savans aux littérateurs ; c’est aussi pourquoi Mme de Staël donne le premier rang aux lettres. Dans un temps où elle ne soupçonne guère l’ambition de Bonaparte, elle proclame bien haut la nécessité pour la démocratie de prendre pour guide la philosophie et l’éloquence. En cela, elle est le vrai disciple des Encyclopédistes, elle suit l’esprit de la Révolution. Celle-ci est l’œuvre des littérateurs bien plus que des savans : Plutarque a plus d’action sur ses grands hommes que Buffon et d’Alembert.

La philosophie apprendra aux générations nouvelles à ne reconnaître d’autre guide que la raison. N’est-elle pas en effet la « raison généralisée ? » Mais il est nécessaire qu’elle s’appuie sur l’observation et sur l’expérience : sans quoi, elle n’est maîtresse que de fausseté et d’erreur. N’est-il pas curieux de voir Mme de Staël exprimer la même horreur que Bonaparte pour F « idéologie, » le jeu puéril et dangereux des idées vaines qui s’élèvent dans les airs comme des bulles de savon ? » La métaphysique tirée des objets positifs, la généralisation des idées exactes est le plus beau travail dont l’esprit humain soit susceptible ; mais