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transformer le Palais des Papes en un musée de la chrétienté. L’un de ces projets était mesquin et facile, l’autre grandiose et ardu. Un seul fut exécuté : ce ne fut pas le grandiose, mais il fut sincèrement désiré. Il l’est encore. Car les mêmes hommes qui trouvent nécessaire d’abattre ces belles pierres jaunes, posées par les Papes et célébrées par Stendhal, n’estiment pas superflu de fonder un musée nouveau. Les mêmes économistes qui reprochent à l’art d’entraver l’expansion de la ville en lui gardant sa couronne de mâchicoulis, sont prêts à endetter celle-ci de six millions pour lui faire une collection de vieilles chasubles. Et, dans ces deux résolutions, en apparence contradictoires, ils sont animés par une même idée d’ordre, — qui est de ne pas laisser l’art encombrer la rue, mais de le mettre à sa place, où iront le chercher les gens qui croient en avoir absolument besoin : au musée.

Le même souci tient tous les destructeurs de beauté, quelque part qu’ils « travaillent. » A Arles, on a détruit les maisons qui plongeaient dans le fleuve, afin de tracer des quais rectilignes. On y a encore détruit, par les bruits de la terre et par les fumées du ciel, le charme des tombeaux vides des antiques Alyscamps. Mais, en revanche, on y fonde un Museon Arlaten pour y renfermer les choses pittoresques de la vie populaire. A Florence, en 1888, la commission de Riordinamento del centro della città, après qu’elle eut visité les maisons de la rue des Apothicaires et décidé leur disparition, décréta toutefois qu’on enrichirait de leurs photographies les archives communales. Aujourd’hui, lorsqu’un parti florentin demande qu’on rase le vieux et bizarre palais dell’ Arte della Lana, qu’un arc-boutant joint mystérieusement à Or San Michèle, que dit-il pour nous consoler ? Il dit qu’ « on en fera une reproduction dans une autre partie de la ville ! » Quand on a détruit le Mercato Vecchio et tout ce qui avoisinait la vieille église de Saint-André, on a pompeusement créé, au musée de Saint-Marc, une salle de souvenirs de fresques, de plafonds, de cheminées, d’écussons tirés des maisons du XVe siècle. De même qu’à Bruxelles, si l’on a rasé, en 1577, l’ancien palais des ducs de Brabant, on en a tenté, deux cents ans après, une restitution, de même on a soin, aujourd’hui, de reproduire à huis clos ce qu’on a supprimé dans la rue. En Suisse, les hôtels expulsent les chalets, mais, quand on a ruiné les chalets de la montagne, on en reconstruit tout un quartier à l’Exposition de