Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils existent, mais, en réalité, on ne les a jamais bien vus.

Et on les verrait si bien ailleurs ! C’est en pleine campagne, en pleine forêt, que le sens esthétique éveillé par la joie de la Nature, l’œil reposé par la monotonie du décor, l’esprit rendu curieux de rythme par l’indiscipline des mouvemens de la vie végétale, percevraient avec enthousiasme le moindre vestige du travail et de la volonté, la moindre ligne voulue et suivie. C’est un phénomène bien connu que l’obscur besoin de la symétrie là où tout semble échapper à ses règles et d’un plan rationnel et humain là où les fantaisies de la Nature triomphent en liberté. Nous sommes plus reconnaissans à l’art pour une Madone frustement peinte sur la blanche église de quelque pauvre village de l’Engadine que pour la centième Vierge au Bambino dans un musée de Florence, quand nous en avons vu déjà quatre-vingt-dix-neuf. Que nous fait un sarcophage après cent sarcophages, ou un œnochoé, s’il est le centième œnochoé ? Mais si, au pli d’un vallon, à travers quelque campagne virgilienne, nous rencontrons le simple monument où le Poussin arrêta ses bergers d’Arcadie, nous faisons halte comme eux, sensibles à la solidité de ses lignes et à l’équilibre de ses proportions. Et si, aux approches d’une ville ancienne, parmi les vignes ou les potagers, nous trouvons le reste d’un taurobole oublié par les archéologues, nous comparons le pampre sculpté aux feuilles vivantes qui y jettent leur ombre et le bucrâne hiératisé aux bœufs qui cheminent le long du labour ; nous comprenons alors, bien mieux que dans un musée, l’effort de l’art pour fixer le plus capricieux des rameaux en un régulier entrelacs et la plus disgracieuse des têtes en un svelte ornement.

Les flâneries dans les vieux quartiers de Rome ou à travers les villages toscans ont-elles un autre but ? On possède, au milieu de la ville, tous les chefs-d’œuvre qu’on peut souhaiter. Si l’on va au hasard des chemins, c’est qu’on trouve plus de plaisir à la courbe de la Navicella imprévue rencontrée au portail de la villa Mattei, qu’à toutes les vasques et les cuves dont s’encombre la Salle ronde ou la Galerie des candélabres. On sait plus de gré à l’artiste pour avoir tracé la forme d’un lécythe sur une stèle du cloître de San Saba ou des croix sur le puits du cloître du Latran que pour avoir creusé les pierres entassées au Capitole. Et toute la ferronnerie ornementale de l’Architectural Court, du South-Kensington-Museum, ne se profile pas dans la mémoire aussi nettement que