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mutilé ses branches. Il a noyé le poignet sous les petites vagues vertes de ses feuilles, et la statue, dès lors expliquée, semble cueillir, d’une main qu’elle n’a plus, des fruits à l’arbre qui n’en a jamais.

Ce sont ces fortuites rencontres qui donnent leur harmonie aux ruines vues par Hubert Robert dans la campagne italienne : le marbre, auguste et éternel, prête son appui aux contadines éphémères qui y suspendent leurs hardes éclatantes. Dans l’entre-colonnement décrépit, mais hautain encore,


Bien que les Salvucci ni les Ardinghelli
N’abritent plus que l’humble échoppe et l’établi
Sous leurs arcades colossales,


le lazzarone grignote sa polenta, l’enfant égrène son raisin et le moine son chapelet, tandis que sur leurs têtes, une plante sauvage jette l’ombre de ses feuilles, le galbe de ses branches et l’aumône de ses fleurs…

Ainsi, presque toujours, la nature et le temps savent restituer à la pierre l’âme qui l’avait quittée quand elle s’était brisée. Sans doute, ils ne peuvent refaire entièrement ce que l’homme a détruit, ni combler tout à fait le vide que l’accident a creusé. Ils ne rendent pas aux formes mutilées leur beauté plastique, mais ils leur confèrent une nouvelle beauté pittoresque. Ils les font entrer dans la grande communion du paysage. Un jour même arrive où la ruine fait partie si intégrante de son milieu qu’on n’imagine pas avec plaisir le monument intact. Quel artiste préférerait la correcte spirale d’un escalier en colimaçon à cette description faite par Tennyson dans Enide : « Bien haut, au-dessus, un morceau de l’escalier d’une tourelle, usée par des pieds qui, maintenant, étaient silencieux, tournait, nu, au soleil, et de monstrueuses touffes de lierre serraient le mur gris de leurs bras fibreux ; elles suçaient les jointures des pierres et semblaient, en bas, un nœud de serpens, en haut, un bosquet… » Cet escalier qui ne conduit à rien et qui est dépouillé de son alvéole devient ici le centre d’un thème décoratif qui n’est plus architectural, mais qui est encore pittoresque, thème voulu par la Nature et réalisé au gré des semences, des vents et des années.

Mais pour que ces choses s’accomplissent, il faut confier à la nature même les débris que nous voulons ennoblir, et ne point