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chinois, occuper par son escadre la baie de Port-Arthur, d’où elle pourrait surveiller et au besoin arrêter les progrès inquiétans des Allemands : en réalité, sous couleur de sauvegarder l’intégrité de la Chine, les Russes s’emparaient d’une proie longuement convoitée et s’installaient enfin dans ce golfe du Pe-tchi-li où tendait, depuis si longtemps, tout l’effort de leur politique.

Bref, l’Europe acceptait le fait accompli : le principe de l’intégrité du Céleste Empire sembla ne plus survivre que dans l’hypocrisie des formules diplomatiques ; derrière les « cessions à bail » ou les « concessions temporaires,  » l’acte de Kiao-tchéou apparaissait avec sa brutalité guerrière et donnait aux avantages réclamés par les Européens le caractère de véritables conquêtes. C’était bien cependant de points d’appui stratégiques et de bases territoriales pour le commerce qu’en réalité il s’agissait ; mais, malgré tout, une politique nouvelle prévalait : comme dans l’Orient musulman, « intégrité » paraissait devenir synonyme d’égalité dans la spoliation.

Chacun voulut sa part, chacun menaça le Tsong-li-Yamen, s’il se montrait récalcitrant, d’une visite de cuirassés ou d’un débarquement de marins. De « compensations » en « compensations,  » les Allemands occupèrent pour 99 ans le territoire de Kiao-tchéou (traité de Pékin, 6 mars 1898) ; les Russes obtinrent la cession à bail de Port-Arthur, de Talien-ouan et le droit de relier ces ports au Transsibérien (traité du 15-27 mars 1898). Puis les Anglais, pour calmer l’opinion publique très excitée, se firent accorder, dans les mêmes conditions, Wei-hai-wei Ci avril 1898) ; la France enfin (traité du 5 avril) demanda la baie de Kouang-tchéou-ouan et des concessions de chemins de fer, qu’une seconde convention, après l’assassinat du P. Berthollet, vint compléter (7 juin) ; en réponse, la Grande-Bretagne se fit encore céder, en face de Hong-kong, l’important territoire de Kao-loung (9 juin). Ainsi, chacun à l’envi s’efforçait d’arracher à la faiblesse de la Chine des concessions de toute sorte : et le jeu continua par une demande de l’Italie ! Par une étrange et habile antithèse, seul, le vainqueur de 1895, le Japon, n’exigea aucun territoire ; il évacua Wei-hai-wei sans difficultés, pour le remettre aux mains des Anglais : c’est de l’avenir qu’il attend les fruits de sa modération.

La politique inaugurée à Kiao-tchéou ne pouvait guère être favorable à la France. L’Allemagne, qui avait paru, dans