Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’ont de valeur réelle et d’effet que celui qu’on sait leur donner : le décret du 15 mars, émané de la volonté impériale, pourrait être annulé par un caprice de cette même volonté ; il peut aussi rester lettre morte et ne pas recevoir d’application : il ne produira tous ses résultats que si une puissance extérieure intervient pour en garantir l’exécution. Le Saint-Siège, pouvoir moral et matériellement désarmé, ne saurait donc aujourd’hui, — même si les bonnes dispositions actuelles du gouvernement chinois et la multiplication des conversions devenaient pour le Souverain Pontife un motif de reprendre d’anciens projets et d’établir à Pékin une délégation apostolique comme il en existe une à Constantinople, — se passer, dans cet Extrême-Orient où la force seule est respectée, au milieu du conflit des convoitises politiques et économiques, du concours d’une nation catholique disposant de cuirassés et de soldats. Ainsi restent liés, par une étrange fatalité historique dont nous sommes les bénéficiaires parfois peu reconnaissans, les intérêts du catholicisme et ceux de la France. Il n’est pas indifférent pour l’avenir qu’au moment où les puissances du capitalisme forment des syndicats pour l’exploitation du Céleste Empire, la France seule garde, au milieu du déchaînement des appétits, l’honneur de poursuivre une politique en partie désintéressée et reste seule à faire, parmi les rivalités nationales, œuvre supranationale. Et, à l’heure où la vieille Chine s’ouvre aux idées nouvelles, comme aux marchandises et aux machines européennes, à l’heure où le levain de la parole évangélique paraît commencera soulever quelque peu la pâte inerte du monde jaune et où lentement les antiques préjugés semblent ébranlés, à l’heure enfin où « une autre Chine[1] » va peut-être s’élever sur les ruines de l’ancienne, c’est une grande force pour nous d’avoir là-bas, par le concours traditionnel du Saint-Siège et du gouvernement français, la garde des intérêts religieux et que de longs services et un dévouement continu fassent espérer à la France de devenir, à l’instant décisif, comme la marraine de la Chine régénérée.


III

Notre tradition politique, militaire, religieuse et nos intérêts économiques nous imposent le devoir d’exercer à Pékin, sur la

  1. C’est le titre d’une brochure très intéressante de Mgr Reynaud, vicaire apostolique du Tche-kiang (Abbeville, Paillart, 1897).