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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/265

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l’Europe devrait l’inventer. Et puisque l’Autriche existe, l’Europe doit tout faire pour la conserver.


Mais l’Europe, — et c’est peut-être la vraie question préalable, celle par l’examen de laquelle il faudrait commencer, — l’Europe est-elle réellement menacée de la disparition de l’Autriche ? Les temps de la dissolution sont-ils réellement accomplis pour la monarchie des Habsbourgs ? Est-elle réellement à la merci de l’accident à la fois prévu et inévitable, du grand accident de toute existence mortelle ? Cet accident, quand il se produira, ouvrira-t-il réellement une crise ? Ouvrira-t-il réellement la crise, celle que les chancelleries semblent attendre, et pour laquelle certaines d’entre elles semblent se préparer, avec plus ou moins d’esprit politique et plus ou moins de sens pratique ?

Le secret n’en est ni à nous ni à personne. Il se peut que la crise se produise ; il est probable qu’une crise se produira, mais il est probable aussi qu’elle n’affectera, et, dans tous les cas, il est possible qu’elle n’affecte, au début du moins, que la forme intérieure de la Monarchie austro-hongroise, nullement sa forme extérieure, internationale et européenne. Autrement dit, il se peut qu’au dualisme succède le trialisme, qu’une monarchie à trois termes remplace cette monarchie à deux termes, que le jeune Empereur soit roi de Bohême comme il sera roi de Hongrie, qu’il se fasse couronner à Prague comme à Vienne et à Budapest. Il se peut que la crise s’arrête là ; il se peut qu’elle ne s’arrête qu’à un fédéralisme à plus de trois termes, et c’est dès lors que les incidences et les contre-coups en Europe en seraient sérieusement à redouter.

Aussi toute l’Europe ne peut-elle que souhaiter ou qu’elle ne s’ouvre pas ou qu’elle s’arrête au plus vite et au plus près ; toute l’Europe qui, — pour reprendre l’image du rocher, — est intéressée à avoir à son centre, où elle lui pèse infiniment moins, cette éponge de nationalités qu’est la Monarchie austro-hongroise, au lieu d’y avoir, comme elle l’y aurait, le lourd « rocher de bronze » de l’Allemagne prussienne, grossi et alourdi encore du bloc rendu compact de l’Autriche allemande.


CHARLES BENOIST.