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autant il est nécessaire d’atteindre perpendiculairement la route commerciale du Yun-nan à Pakhoï, autant il serait imprudent de la doubler parallèlement d’un chemin de fer entre Nan-ning et Pé-sé ; nous risquerions de faciliter ainsi, au profit de Pakhoï, une concurrence dangereuse à la route plus directe du Fleuve Rouge[1]. Cette dernière voie est en effet, pour l’avenir du Tonkin, la plus avantageuse. La rivière elle-même paraît à peu près inutilisable pour la grande navigation, à cause des rapides qui l’obstruent ; ses eaux seront sans doute plus précieuses pour l’irrigation que comme « chemin qui marche ; » mais c’est en remontant la vallée du Fleuve Rouge que le gouvernement de l’Indo-Chine a entrepris de conduire une ligne ferrée jusqu’au cœur du Yun-nan. Le projet, entrevu par les Doudard de Lagrée et les Dupuis, est, on le sait, en voie de réalisation. Une loi votée par le parlement français, sur les instances de M. Doumer, a autorisé l’Indo-Chine à contracter un emprunt de 200 millions pour l’exécution de tout un programme dévoies ferrées dans la colonie. Le succès de la première émission, l’activité que l’on déploie, le récent voyage du gouverneur général à Yun-nan-fou, sont de bon augure pour la réussite prochaine de nos projets de pénétration. La voie future s’élèvera sur les plateaux par la vallée d’un petit affluent de gauche du Fleuve Rouge, passera un peu au nord de Mong-tsé et atteindra enfin Yun-nan-fou.

C’est un fait d’expérience courante que le trafic d’une voie ferrée est toujours supérieur au trafic des routes qui, avant la création de la ligne nouvelle, en tenaient lieu. Pareille fortune arrivera sans doute à nos lignes du Tonkin. Les provinces qui avoisinent nos domaines ne sont ni les plus fertiles, ni les plus commerçantes du Céleste Empire ; elles ne sont pas susceptibles, comme la vallée du Yang-tsé, d’un développement économique presque indéfini ; mais il ne faut pas oublier qu’il y a moins de trente ans, lors de la grande révolte du sud-ouest, il a péri, par la guerre ou les massacres, 12 à 15 millions d’hommes, dans les seules provinces du Yun-nan, du Kouang-si et du Koui-tchéou. Tout a été ravagé, les mûriers ont été coupés, les villes démantelées. La repopulation et la reconstruction se font peu à peu :

  1. À lord Salisbury, qui lui demandait son avis sur la concession éventuelle à a France d’un chemin de fer de Pakhoï à Nan-ning, sir Claude Mac Donald répondait, le 20 mai 1898 : « II ne générait pas les intérêts anglais, mais au contraire les favoriserait. » (Blue Book, no 122.)