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pénétrer dans le haut Yang-tsé en remontant son cours : de tout le bassin du Fleuve, ils veulent faire leur lot dans le partage des influences en Chine. Le procédé que les « impérialistes » préconisent est simple et déjà connu, c’est « l’égyptianisation : » du Fleuve Bleu on veut faire un autre Nil, de Chang-hai une nouvelle Alexandrie, plus commerçante encore et plus populeuse que l’ancienne ; le chemin de fer, prolongé par un service de bateaux, irait de l’extrémité du Dekkan aux rives de la mer de Chine, comme, en Afrique, il ira du Cap au Caire. Ces projets grandioses transparaissent à chaque page du livre qu’au retour de sa tournée commerciale, vient de publier le contre-amiral lord Charles Beresford. Sans doute, il tient encore pour la « porte ouverte : » ne faut-il pas que les produits anglais pénètrent partout dans l’Empire du Milieu ? mais, comme la politique de la porte ouverte a reçu quelques accrocs, comme le « cas épreuve » de Niou-tchang a déçu les prétentions britanniques et que, nous non plus, nous ne sommes pas disposés à nous plier à toutes les volontés des « jingoes,  » lord Charles Beresford[1], et, avec lui, tout le parti impérialiste, incitent le gouvernement à une occupation effective de la vallée du Yang-tsé ; sous prétexte d’y établir l’ordre et d’y faire la police, on insinue qu’un service de canonnières anglaises pourrait être établi sur le fleuve, « comme sur le Nil,  » et qu’il faudrait réorganiser l’armée chinoise avec des officiers et des cadres anglais. N’est-il pas, en effet, « inutile, comme le dit lord Charles Beresford, que la porte soit ouverte, si le désordre est dans la chambre ? » Puis, comme en Égypte, on provoquera quelques troubles pour faire durer l’avantage de la répression ; les négocians britanniques, les sujets de la reine, s’installeront de-ci de-là, on invoquera le devoir de les protéger, et peu à peu l’immense vallée du Yang-tsé se trouvera, sans secousses, passée sous le protectorat de Sa Majesté britannique. Après l’Inde et l’Égypte, la Chine sera sous la griffe du léopard.

Déjà la presse batailleuse et les paladins de « l’impérialisme » protestent à grand fracas, dès que la France obtient la moindre concession de mines ou de chemins de fer ; ils réclament des

  1. Ouvrage cité, notamment au chapitre Observations. On trouvera des suggestions analogues dans le livre de A.-R. Colquhoun : China in transformation (Londres et New-York, Harper, 1898, in-8o), notamment p. 339, 378. — Cf. l’article cité ci-dessus de M. Louis Raveneau. — Cf. également un article du capitaine Yunghusband, dans la Contemporary Review d’octobre 1898.