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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/437

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mécontens et des acteurs dépités. Cela fait beaucoup de fiel. Il en coule encore. Il en coule toujours. Hier, pendant une représentation, le commissaire de police a dû empoigner un spectateur qui s’agitait. Et voilà ce qu’on appelle une « campagne de presse ! »

Ces campagnes n’atteignent pas toujours ceux contre qui elles sont dirigées, mais elles retombent immanquablement sur ceux qui les entreprennent. Elles jettent un jour assez curieux sur l’état de nos esprits. Dans l’atmosphère de dénonciations où nous venons de vivre pendant deux ans, les consciences se sont encore épaissies, et beaucoup de gens ne se rendent plus compte de ce que certaines besognes ont de vilain. D’autre part, dans la cohue du journalisme contemporain, il est difficile pour un jeune homme de se distinguer : la voie du travail est lente, et celle du talent est chanceuse ; lancer un « pétard » est le moyen le plus expéditif et le plus sûr. On se fait connaître, et c’est ce qui importe : tant pis pour ceux qui regardent à la manière ! M. Le Bargy est-il d’ailleurs complètement étranger aux manifestations de ses fougueux amis de la presse, comme du spectateur agité de l’autre soir ? Nous le souhaitons pour lui. Surtout nous avons hâte de laisser ces misérables polémiques à ceux qui s’en soucient, d’oublier les démêlés de M. Le Bargy avec son administrateur et ceux de M. Claretie avec les journalistes, et d’arriver à la véritable question que ces querelles personnelles et intéressées ont pour effet de masquer.

Car il y a une question de la Comédie-Française. Elle consiste à savoir quel doit être le rôle de ce théâtre, comment il l’a compris en ces derniers temps, et dans quelles conditions il se trouve aujourd’hui pour le remplir. A l’heure actuelle, la Comédie fait de bonnes affaires et de médiocre besogne. On a bien essayé de nous alarmer sur la situation financière de cet établissement : un instant, nous avons pu redouter que les sociétaires à part entière, addition faite des appointemens fixes, part aux bénéfices, feux, avantages exceptionnels et gratifications, ne courussent risque de toucher pour le dernier exercice des émolumens à peine supérieurs à ceux d’un ministre plénipotentiaire. Notre crainte fut vive : informations prises, elle est heureusement dissipée. Ceux mêmes des sociétaires qui récemment promus au sociétariat ne touchent pas l’intégralité des douze douzièmes, sont encore dans une situation très supérieure à celle d’un président de chambre ou d’un général de division. Ce n’est pas la fortune, mais c’est le pain assuré. Nous voilà tranquillisés sur le sort de ces pauvres gens. La Comédie est dans une situation matériellement prospère ; et ce trait déjà la distingue de tous les autres théâtres. Ceux-ci, en proie