fît jadis entonner par l’un d’eux un admirable épithalame, au premier acte de Russlan et Ludmilla. Un chœur tel que celui-ci n’a rien de commun avec le chœur obligé des courtisans dans l’ancien opéra. A l’ampleur et à l’originalité de la mélodie, à la vigueur des arpèges, à l’exotique saveur de la cadence et du mode, on devine quelque chose non seulement d’inconnu, mais d’infini. Ce n’est pas là l’assemblée tumultueuse de l’Africaine, encore moins la fastidieuse délibération des Maîtres Chanteurs. Non, cela est à la fois plus solennel et plus mystérieux. C’est l’idéal du Conseil des ministres ou du Conseil d’État. A la voix inspirée de ces prophètes ou de ces mages, il semble que tout doive obéir, et leur auguste mélopée chante la force d’un grand pays où s’exerce un grand pouvoir.
Même caractère de grandeur, presque d’immensité, dans une autre scène qui n’est qu’accessoire à l’action, mais que la musique élève à des proportions d’épopée. Sur l’ordre du tsar, pour assembler le peuple, des crieurs sont montés sur les hautes tours. Et leur appel non plus ne ressemble pas à l’appel ordinaire des hérauts d’opéra. Au lieu des sonneries et des fanfares banales, de longues clameurs alternées se répandent sur toute l’étendue de la plaine. Deux voix de ténor et de basse profèrent l’une après l’autre un cri plaintif et qui traîne longuement. Toutes les deux, séparées par un intervalle singulier, se répondent et se mêlent tour à tour. Au lieu de se fixer sur la tonique, c’est toujours sur la dominante qu’elles demeurent en suspens. Elles flottent, elles planent sans jamais se poser. Sous la cantilène indéfiniment répétée, comme l’harmonie se transforme indéfiniment, il semble, à chaque modulation nouvelle, que les voix portent plus loin, qu’elles traversent des pays et parviennent à des peuples nouveaux. De même que tout à l’heure la mélopée des rapsodes aveugles, celle des hérauts nous donne ici l’impression de l’espace et de l’horizon. Nous sentons qu’à cet appel irrésistible, des foules sans nombre vont accourir. Et la Russie que cette musique évoque a beau n’être pas celle de l’histoire, mais celle de la légende, il n’en est pas moins vrai que cette musique, en ce peu de notes, manifeste certains caractères essentiels et bien nationaux de la véritable Russie : la multitude des sujets et l’autorité du maître, l’immensité de l’Empire et la toute-puissance de l’Empereur.
Mais il y a quelque chose que la musique de M. Rimsky-Korsakow exprime encore avec plus de puissance et de charme, avec une originalité plus forte et plus douce à la fois : c’est la nature ou le paysage, ce sont les formes et les couleurs, c’est la figure et, pour ainsi dire, le