s’est déclarée compétente, malgré le texte formel et l’esprit évident de la loi dont elle tient ses pouvoirs. Le lendemain de cette décision, les journaux radicaux et socialistes ont poussé des cris de joie et de triomphe. Ils ont annoncé que la cause était entendue, ou plutôt qu’on n’avait plus besoin de l’entendre, l’arrêt qui venait d’être rendu sur la question de compétence préjugeant l’arrêt final sur la question de culpabilité. Il était impossible de dire plus crûment qu’on regardait la Haute Cour comme une assemblée politique, et que c’est à ce titre qu’elle devait se prononcer. Alors, à quoi bon cette comédie judiciaire ? On annonçait déjà la condamnation comme « certaine, » sans attendre les débats, avant les interrogatoires, avant l’audition des témoins, avant la défense, et, par une contradiction singulièrement suggestive, les hommes qui se faisaient les prophètes de cette justice expéditive étaient les mêmes qui, dans un procès récent, parlaient si haut des droits imprescriptibles de l’homme et du citoyen, et flétrissaient avec une véhémence indignée les arrêts qu’on pouvait croire et que, eux du moins, croyaient rendus par avance, en vertu de causes secrètes et de préoccupations étrangères au pur souci de la justice et de la vérité !
Après cela, on a interrogé les accusés. Tous les journaux ayant reproduit ces interrogatoires, nous n’y insisterons pas. Parmi les prévenus, trois ou quatre ont tranché sur la banalité générale. M. Déroulède a refait son éternel discours sur la république plébiscitaire : c’est son idée fixe, son idée unique, et, comme l’expression même n’en varie pas, il se dégage de sa thèse, malgré l’impétuosité avec laquelle il la soutient, une espèce de monotonie. M. Godefroy, le président de la jeunesse royaliste, est un jeune avocat qui a montré de la présence d’esprit et du talent. S’il n’a fait que ce qu’on lui a reproché, en vérité c’est peu. Il en est de même de M. le comte de Sabran-Pontevès. Ce prévenu a eu un grand succès personnel. Il a de l’originalité, de la verve, de la séduction, et toute l’aisance d’un homme du monde au milieu de cette procédure abstruse et aride. C’est en outre un diseur fort habile, et il a déridé la Haute Cour par la manière humoristique dont il a raconté son arrestation et ses suites. S’il est vrai, comme il l’a affirmé sans provoquer de protestation, qu’il ait été tenu au secret pendant soixante-douze jours avant d’être interrogé, il faut reconnaître que les droits les plus sacrés de l’homme et du citoyen ont été lésés une fois de plus. Mais enfin, qu’a-t-il fait ? A l’entendre, rien du tout ; à entendre l’accusation, pas beaucoup plus. Quant à M. Guérin, le héros de la rue de Chabrol, il a longuement raconté sa vie difficile et