d’écoliers en maraude. La Chine se gausse du sérieux que nous apportons aux jeux de ces turlupins et des bons points que nous leur décernons. Quand on leur parle des Japonais, les faces chinoises s’allongent en moue dédaigneuse, puis s’épanouissent en un large sourire. Toutefois, des commerçans de Hongkong m’affirmèrent très gravement que leurs vainqueurs d’hier étaient pour la plupart des gueux et des fripons.
Je venais d’arriver à Tokyo, après avoir touché Kobé et Yokohama. Nous entrions dans la seconde quinzaine de décembre. Les collines étaient frileuses, car les érables avaient dépouillé leur rouge feuillage ; mais les camélias allaient bientôt fleurir. Les champs d’orge et de colza verdoyaient, et dans les campagnes, où les bottes de paille sèche, dressées comme de petites meules et suspendues aux arbres comme de grosses cloches, semaient des taches d’or pâte parmi les cônes des pins et les rameaux des cyprès, les broussailles de bambous jaunies et cendrées éparpillaient au vent leur fumée légère, teintée d’aurore. L’air était froid ; le ciel, d’une limpidité bleue, avait des matins glacés de rose.
Je savais déjà que les djinrikishas japonaises se nomment communément des kurumas[1] et leurs traîneurs des kurumayas, que les longues robes aux manches tombantes s’appellent des kimonos, les larges ceintures des obis, les pantalons flottans des hakamas, les casaques de soie des haoris et les patins de bois des getas. Je n’ignorais plus que le terme de chaya désignait les auberges et les maisons de thé, et celui de tatami les nattes dont les planchers sont tapissés. Quand on parlait devant moi de hibachi, j’entendais parfaitement qu’on signifiait le brasero de bois ou de cuivre autour duquel les Japonais s’agenouillent et se dégourdissent les mains. Le mot de geisha me représentait une petite dame peinte et fardée, assez richement attifée, et qu’un traîneur de cabriolet emporte à perdre haleine vers un hôtel de rendez-vous ; et l’on m’avait dit que ces petites dames, entre tant
- ↑ J’ai adopté pour tous les mots japonais l’orthographe fixée au Japon même par les Européens et suivie par les Japonais dans les livres qu’ils publient en langue étrangère. L’u se prononce ou ; le g, gue ; le j, dji ; le ch, tch. C’est la seule orthographe légitime, la seule qui serre d’assez près la prononciation indigène. Ceux qui veulent s’en affranchir tombent dans la bizarrerie. C’est ainsi que le terme de Shogun est devenu quelquefois Shiaugoun. etc., etc.