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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/794

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américaine. J’y accompagnai les membres de notre légation. Nous traversâmes l’immense plaine et le labyrinthe ouvert des vieux remparts. Le soleil du matin scintillait sur l’eau glacée des douves. La blanche tourelle du parc impérial se teintait de la nuance que prennent aux gelées d’avril les fleurs du pêcher. Ces vastes étendues, où la végétation éclaircie par l’hiver nous découvrait de froides clartés marécageuses, me donnaient l’impression d’un paysage de chasse aux canards. Le long de la route, que l’Empereur allait bientôt parcourir, une foule silencieuse, maintenue par des sergens de ville, se massait sur quatre ou cinq rangs de profondeur. Des centaines de kurumas s’alignaient déjà devant l’édifice occidental où se débattent les destinées japonaises. Les laquais galonnés se précipitèrent à la portière de notre landau, et un maître des cérémonies, chamarré de la tête aux pieds, nous conduisit aux tribunes.

On m’ouvrit celle des journalistes, tous habillés à l’européenne, les mains sur les genoux, immobiles, muets, contraints, comme de jeunes paysans endimanchés dont les gestes ne se dégauchiraient que dans la liberté de la blouse. Le petit amphithéâtre parlementaire resplendissait de l’éclat du neuf ; mais on avait retiré tous les sièges de l’hémicycle en gradins, et du haut en bas un mince cordon rouge le coupait en deux parties, l’une réservée aux Pairs, l’autre aux Députés. Derrière l’estrade, où d’ordinaire s’élèvent les tribunes oratoire et présidentielle, sous un dais somptueux, dont les rideaux de pourpre épanouissaient leurs chrysanthèmes d’or, près d’un riche guéridon, j’aperçus le trône. Les loges, sauf celle du milieu qui restait déserte et pompeuse, étaient occupées par des officiers et de hauts fonctionnaires, quelques-uns devisant à mi-voix. Le corps diplomatique s’installa dans la sienne ; les légats coréens, drapés d’étoffes sombres, coiffés de chapeaux en pointe, le teint basané, en tapissaient le fond ; mais, au premier rang, près de la figure sympathique et fine du baron d’Anethan, un diplomate chinois, dont la robe était magnifique, avait posé sur le rebord de la loge ses doigts longs et maigres, et penchait un visage émacié dont les lèvres esquissaient comme le sourire du Voltaire de Houdon.

Rapidement l’hémicycle se remplit : d’un côté, les Pairs ou Sénateurs, en uniformes militaires ou en vêtemens de cérémonie passementés d’or, dans tout l’apparat d’une cour allemande ; de l’autre, les représentans du peuple en habits noirs. Les chapeaux