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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/800

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anémones lui murmurent des choses exquises, ses rêves de bonheur voyagent sur l’écaille des tortues, et les poissons lui tiennent de longs discours. Elle se meut, toujours facile à contenter, dans le monde diaphane des apologues. Elle y habite un petit palais d’allégories, dont chaque fenêtre est une métaphore.

— Parbleu, fis-je, on devient précieux, à fréquenter chez les Japonais ! Que ne me dites-vous tout simplement qu’ils en sont encore au gui l’an neuf ? Braves gens ! Mais, pour des songeurs qui se mirent dans une goutte d’eau, ils me paraissent très sérieusement affairés. Ce ne sont, dans toutes les échoppes et les magasins, que comptables agenouillés devant leurs livres. On entend partout le bruit cliquetant des boules de l’abaque. Et hier, comme je passais devant une banque, les guichets en étaient assaillis par des hommes armés de gros portefeuilles.

— Eh ! répondit mon vieux résident, ne voulez-vous pas que les Japonais se croient, au moins une fois l’an, obligés de payer leurs dettes ? Ils ont eu trois cent soixante jours pour emprunter, et Dieu sait s’ils s’en privèrent ! Ils en ont cinq pour aviser aux moyens de contracter un nouvel emprunt qui leur permette de rembourser les autres. Mais soyez assuré que le spectre de l’échéance ne les empêchera ni de manger leur macaroni de la fin du mois, ni de savourer le mochi traditionnel, ce gâteau de riz auquel les pâtissiers donnent la forme du miroir sacré, ni de répandre des haricots à travers leur maison, car ces farineux ont ici la propriété de chasser le diable.


Je suivis le conseil de mon ami : je flânai. Les arbres de Noël, dont l’Europe avait émerveillé tant de petites têtes blondes, avaient traversé les mers et s’étaient multipliés pour égayer le seuil des maisons japonaises. J’en vis de toutes les tailles, et même qui n’étaient pas plus hauts que des rameaux de buis bénit. Ils faisaient un peu de verdure et d’espérance à la porte des pauvres cabanes. Les enfans, sous leur calotte de cheveux et dans leur robe bariolée dont les manches leur tombaient jusqu’aux pieds, avaient grand soin qu’ils ne fussent emportés par le vent, et s’interrompaient à chaque instant de leurs jeux pour venir surveiller ces chétives boutures de bénédiction. À Ginza, les boutiques volantes s’étaient installées le long des trottoirs, chargées d’ustensiles de ménage, de jouets, d’ornemens religieux, d’arbres minuscules qui poussent dans des pots et reproduisent si