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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/819

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la trace dans la volonté que, dès le 14 février, lui signifiait à l’improviste Louis XVIII, manifestement inspiré, en cette circonstance, par le duc de Richelieu.

« Je vois que vous serez ici dans un mois au plus tard. Mais, comptez-vous rester quelque temps avant de vous mettre en route pour Montpellier, pour Nice, en un mot pour les climats méridionaux ? Si j’écoutais mon cœur, je répondrais : toujours, et je suis parfaitement sûr que votre conduite ne m’en ferait pas un instant repentir. Mais, cela ne suffit pas. Vous avez des amis véritables qui vous défendent dans l’occasion et s’en tiennent là ; des amis imprudens, si ce n’est faux, qui parlent sans cesse de vous, avec les éloges que vous méritez, ce n’est pas l’embarras, mais hors de propos et qui en induisent ou laissent induire votre prochaine entrée dans les affaires ; des ennemis enfin dont ces propos tiennent la haine éveillée et qui mettraient le feu à la maison plutôt que d’y voir rentrer celui à qui ils ne pardonneront jamais le mal qu’ils lui ont fait. À ces trois classes, il faut ajouter celle des ultra-libéraux qui vous haïssent bien autant que d’autres ultras, mais qui font semblant d’être vos partisans, afin d’exciter par-là de l’agitation si ce n’est du trouble. Dans cet état de choses, nul doute que votre arrivée ici causera de la commotion. Elle s’apaisera si l’on sait d’avance et surtout si l’on voit que vous n’êtes ici qu’en passant. Huit ou dix jours sont bien suffisans pour reposer une pauvre malade, grosse ou non, et la mettre en état de continuer sa route. Mais, si votre séjour se prolongeait davantage, s’il prenait le caractère d’indéfini, l’injustice est telle qu’il est impossible d’en calculer le fâcheux résultat. Moi-même, je vous le dis avec une profonde douleur, mais avec la certitude d’en être réduit là, le cas arrivant, il faudrait me condamner au plus cruel des supplices, à celui de Tantale. Je n’ajouterai rien. Il m’en coûte assez de vous parler ainsi. »

Jamais le roi, dans ses rapports avec Decazes, ne s’était exprimé avec cette fermeté et, jamais non plus, celui-ci n’avait, au même degré, discerné dans le langage de « son père » l’influence de ses ennemis. Quand il reçut cette lettre qui ne légitimait que trop ses appréhensions, il venait d’en écrire une dont un extrait expliquera l’impression douloureuse qu’exerça sur lui la défense de résider à Paris qui lui était implicitement faite. Il y annonçait au roi que l’état de la malade s’aggravait de jour en jour et que les médecins, bien que n’osant la laisser partir, insistaient pour qu’on