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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/826

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alors surtout qu’elle n’a pas vu fleurir encore son vingtième printemps ? Du reste, le péril qu’elle court ne ferme pas son âme à la faculté de s’égayer de peu, qui est le privilège de son âge. Elle n’est pas moins sincère dans la page qui suit que dans celle qui précède.

« Papa et maman font beaucoup de courses. Leur séjour ici me laisse encore plus seule. M. de Lima, seul, vient me tenir fidèle compagnie. Il m’aime à la passion, dit-il. Cela ne le mènera pas bien loin et ne lui procure pas de plaisirs bien vifs : passer ses journées au pied du lit d’une personne qui ne peut pas parler !… Je lui fais faire de la tapisserie et il me raconte ses succès passés. La princesse Pauline Borghèse joue un grand rôle dans ses souvenirs. Il paraît qu’un jour, surpris par l’empereur, il fut obligé de sauter par-dessus le mur. J’espère pour lui qu’il ne pesait pas deux cents comme aujourd’hui. Il était dans une position très pénible. Le mur était très bas du côté de chez la princesse, mais, très haut de l’autre, de telle sorte que mon pauvre comte resta assez longtemps à cheval sans pouvoir se décider à faire le saut périlleux. J’en ai ri comme une folle. »

Tout, hélas ! n’est pas cause de rires, dans la vie de la pauvre petite malade. Son état ne la dispense pas toujours de ses obligations d’ambassadrice.

« Il y a quelques jours, nous avons eu un raout, et, comme les princes devaient y venir, on m’a fait lever. On m’a campé une redingote en dentelles, et me voilà faisant les honneurs du salon. Je n’ai pu y rester longtemps. J’étais fatiguée à force de dire aux personnes qui me demandaient de mes nouvelles comment et de quoi je souffrais. Une lady William Bentinck, amie de Holland, m’a conseillé de prendre des bains de vinaigre. Pauvre femme !… Je suis rentrée chez moi… Le lendemain, Bertin est venu. J’étais couchée et dans un tel état de faiblesse que je sentais que je perdais connaissance. Il tire sa montre et je l’entends qui dit à mon mari :

« — Mais elle est beaucoup mieux ; elle n’a que quarante pulsations.

« Et il l’a répété jusqu’au moment où il n’en a plus trouvé du tout. Avant-hier, il m’apporte une potion qu’il dit n’être pas mauvaise. Je le prie bien de ne pas me tromper parce que j’en ai déjà pris de détestables dans la journée. Il m’assure qu’il ne me trompe pas. Je bois ; c’était détestable. Je me suis retournée et lui