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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/834

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« Mes médecins, Dubois et Auvity, raconte-t-elle, demandèrent une consultation. Le roi indiqua le sien, le docteur Portai, puis le docteur Alais. Après m’avoir examinée et s’être concertés, ces messieurs s’enfuirent sans revoir personne de ma famille. Pendant deux jours, Dubois et Auvity vinrent, sans qu’il fût possible de savoir le résultat de leur consultation. Enfin, le troisième jour, on apporta de chez Alais une grande enveloppe à l’adresse de mon mari. J’étais seule, je l’ouvris. L’opinion des médecins commençait ainsi : L’état de Madame la duchesse Decazes, sans menacer d’une fin très prochaine, laisse cependant peu d’espoir de guérison. Je ne m’étendrai pas sur l’effet que produisit sur moi cette phrase. Je me la suis toujours rappelée, mais sans y ajouter la pensée de la mort. Je fus seulement frappée du parti que je pouvais en tirer pour faire rester mon mari près de moi. Je dis qu’il y aurait de la cruauté à l’éloigner à l’approche de mes derniers momens. Lorsqu’on voulait me rassurer sur mon état, je me fâchais et je criais que j’étais très mal.

« J’étais devenue une malade très soumise. Dans les commencemens, je voulais voir du monde, parler, quoiqu’une toux fréquente et des crachats de sang souvent m’en empochassent. Maintenant, j’avais cessé de recevoir, craignant que ceux qui m’auraient vue allassent dire que j’étais bien et que mon mari pouvait partir. Cette crainte de le voir partir n’était que dans mon imagination. Depuis la consultation, Portai, qui en avait fait connaître au roi le résultat, lui avait annoncé aussi qu’en disant que je n’étais pas menacée d’une fin très prochaine on avait voulu flatter ma famille, mais que ma maladie ne serait pas longue. En peu de jours, mon état fut désespéré. Il était de plus horriblement douloureux. Quelle était cette maladie ? Je ne saurais le dire. Mais j’avais des redoublemens de fièvre qui m’arrachaient des hurlemens de douleur. On m’entendait crier du bout de l’immense cour de notre hôtel.

« L’intérêt du roi était extrême. Trois fois par jour, il envoyait savoir de mes nouvelles ; Monsieur, les princes, les ministres en faisaient autant. J’étais l’objet d’une grande curiosité. Portai venait tous les jours de la part du roi, Auvity comme ayant soigné mon enfance, Dubois comme mon médecin ordinaire et de plus comme accoucheur, car on avait enfin déclaré que j’étais grosse. De combien ? on l’ignorait. Dubois passait des nuits pour être plus à portée de me donner des soins.