Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les collectivités ouvrières pour la conclusion du contrat de travail pendant une durée plus ou moins longue et toujours renouvelable, ils obtiennent une sécurité que ne présente pas le contrat individuel. Ils ne sont pas exposés à l’abandon soudain du travail au moment où les commandes affluent. Ils peuvent réclamer des dommages-intérêts à l’union, si elle manque à ses engagemens. Le contrat collectif, préféré par les patrons au contrat individuel, tend à diminuer sensiblement les grèves.

M. de Molinari et M. Dépasse constatent que cette appréhension pour l’organisation ouvrière s’est montrée assez clairement dans la grève du Creusot. Mais il importe de rappeler que les rapports d’ouvriers à patrons ont été longtemps, en Angleterre même, aussi anarchiques qu’en France, et que la diversité de caractère du mouvement ouvrier, dans les deux pays, répond aussi à une inégalité de développement. Les trade-unionistes de 1833 songeaient à supprimer les employeurs capitalistes. Ils se heurtaient à un refus absolu de tolérer, ou même de reconnaître leur organisation. Ce n’est qu’à partir de 1850 qu’on a vu peu à peu se constituer, en Angleterre, une hiérarchie spéciale du travail dans les syndicats, qualifiés pour représenter les unions vis-à-vis des employés. Les patrons français, au moment des grèves, se trouvent en présence de syndicats improvisés, de syndicats de combat, composés non des travailleurs les plus sérieux et les plus posés, mais de jeunes militans, chez qui l’ardeur des convictions supplée à l’expérience. Endoctrinés par les employés révoqués, les cabaretiers, les journalistes, les futurs candidats aux élections, qui tous vivent en marge du monde du travail, ils prennent aussitôt une attitude comminatoire. La foule qu’ils entraînent dans le syndicat vote des décisions chimériques, affiche des prétentions excessives qui dépassent de beaucoup le redressement de leur griefs légitimes. L’autorité des chefs du syndicat sur leurs camarades est si précaire, que, s’ils acquièrent le sens de la responsabilité, un peu de cet esprit politique qui naît d’ordinaire de l’exercice du pouvoir, ils deviennent suspects de modérantisme, et se voient aussitôt dépassés et débordés. Comme, d’autre part, ils n’ont pas de ressources pour prolonger la résistance, les patrons n’ont aucun intérêt à entrer en pourparlers avec eux.

On répond à cela que l’apprentissage de la liberté ne se fait pas en un jour, que la violence naît de la pauvreté et de la faiblesse. L’exhibition du drapeau rouge, l’appel à l’intervention du