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commune à Mme de Staël, à Benjamin Constant et aux libéraux de cette époque, que la Révolution doit appartenir désormais au passé, qu’elle est un fait délimité dans ses conséquences et qui n’a plus à s’étendre. Mieux instruits par l’histoire de ce siècle et de ses révolutions successives, nous croyons au contraire que la Révolution française a une portée beaucoup plus grande, et que la période révolutionnaire de la fin du siècle dernier n’est que le prologue d’un grand drame social, que nous voyons tous les jours se dérouler sous nos yeux. Là est l’erreur de Mme de Staël, erreur inévitable peut-être, la Révolution française étant telle que l’histoire du passé n’offre rien d’analogue. Mais, avec cette restriction l’idée de Mme de Staël était juste ; il fallait faire cesser l’état révolutionnaire, mesurer des yeux le chemin parcouru, rétablir l’empire des mœurs et des lois.

Le premier principe qu’il était nécessaire d’observer pour mener à bien l’œuvre de réconciliation et de paix sociale, c’était la tolérance politique. La France était toute saignante encore et meurtrie de ses luttes intestines ; elle implorait la trêve des partis. Il importait de donner de la République une définition si haute et si large qu’elle pût rallier à elle tous les citoyens : « Quiconque, dit Mme de Staël, ne veut ni royauté, ni hérédité quelconque, admet pour base de toute constitution l’égalité politique et la représentation nationale, est républicain français[1]. »

Donc, point d’intransigeance et de raideur jacobine, point de fanatisme politique, pas de vaine superstition des formules. « Quand cessera-t-on de porter dans les discussions politiques cette intolérance religieuse mille fois plus redoutable que l’ancien fanatisme ? Lorsque jadis on déclarait criminel quiconque ne croyait pas à telle ou telle explication de la Grâce ou de la Trinité, beaucoup d’hommes désintéressés de ces questions oiseuses pouvaient vivre en paix dans leur famille et dans leurs relations domestiques. Mais, lorsque vous transportez le despotisme de la foi dans les discussions politiques qui touchent aux intérêts de tous les hommes, dans les opinions qui, sujettes à l’empire des circonstances, deviennent un crime aujourd’hui, tandis qu’hier elles étaient commandées, je ne sais quel est l’asile assez obscur, le nom ignoré, les facultés immobiles qui peuvent mettre à l’abri de l’inquisition révolutionnaire. »

  1. Des circonstances actuelles… (feuillet 159).