accusent une augmentation graduelle de la largeur et de la profondeur du bras de mer qui sépare aujourd’hui le rocher de Cordouan de la côte de Grave. Cette passe, qui n’est devenue que depuis peu une de celles que, dans certaines conditions de temps, les plus gros navires peuvent prendre pour entrer en Gironde ou pour en sortir, était autrefois presque guéable. On pouvait la traverser sans danger à cheval, et, si l’on en croit un vieux dicton, « la franchir en deux bonds, en jetant au milieu du détroit une tête de bœuf. » Quoi qu’il en soit, à l’origine de notre époque géologique et peut-être même à l’aurore des temps historiques, les rochers de Cordouan étaient complètement insubmersibles, rattachés à la terre voisine, et faisaient partie de ce que l’on a appelé plus tard la « grande île du Médoc. »
L’un des géographes classiques les plus autorisés du premier siècle confirme d’ailleurs d’une manière très nette l’existence de cette île : « A l’embouchure de la Garonne, dit Mêla, est l’île d’Antros, que les habitans du pays croient être portée sur les eaux et s’élever avec elles au temps de la crue ; cette fausse opinion tient à ce que les rivages qui paraissent la dominer se trouvent couverts pendant les hautes eaux[1]. » Impossible d’être plus affirmatif. Il est donc fort probable que l’île d’Antros, — sauf réserve sur les contours et la superficie, — était la même que la grande île désignée par les portulans et les cartes du XVIe siècle sous le nom d’île du Médoc. La partie de cette île la plus avancée en mer était le cap désigné par Ptolémée sous le nom de Curianum promontorium[2] ; il correspondait à peu près à la pointe de Grave moderne et venait se souder aux rochers de Cordouan. Ces rochers se sont peu à peu détachés à la suite de coups de mers répétés ; ils sont devenus d’abord une île, puis un simple écueil, éloigné de la côte de près de 7 kilomètres. L’île d’Antros ou du Médoc s’est enfin définitivement soudée au continent. Le lit de la Gironde qui l’en séparait s’est peu à peu atterri et transformé d’abord en marais. Ceux-ci se sont graduellement colmatés, et tout le territoire situé sur la rive gauche du fleuve, depuis la pointe de Grave jusqu’à Lesparre, a constitué la riche plaine du Bas-Médoc à peu près telle que nous la voyons aujourd’hui.