Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

péninsule de Grave présente aujourd’hui quelque stabilité, c’est qu’elle a été réellement cuirassée par une série d’épis, de contreforts, de digues longitudinales, de blocs artificiels d’un poids de plusieurs tonnes ; mais, malgré cette formidable armure, qui a coûté une vingtaine de millions, il arrive encore souvent que la mer, dans ses accès de colère, démantèle une partie de ces ouvrages de défense ; et les ingénieurs passifs doivent se résigner à laisser courir la tempête et se borner à reconstituer leur œuvre ou à la renforcer. C’est ce qui a lieu aujourd’hui.

La mer ne se contente pas de ronger la pointe extrême de Grave. Les vagues du large, poussées par les vents du Nord-Ouest, qui déferlent avec fureur au Sud du rocher de Saint-Nicolas, ont entamé la plage et y ont creusé une échancrure qui s’est progressivement agrandie. Cette échancrure porte le nom d’ « Anse des Huttes, » et elle se trouve précisément au point le plus étroit de l’isthme. Celle-ci a été réduite ainsi à une bande de dunes sablonneuses de quelques centaines de mètres, mince lido qui sépare l’Océan des marais salans du Verdon et de la Gironde. Dans une période de moins de trente ans, de 1825 à 1854, la plage des Huttes s’est enfoncée de plus de 350 mètres et la frêle barrière a fini par avoir à peine 300 mètres de largeur au moment de la plus grande intumescence des fortes marées. Elle a été plusieurs fois surmontée et bouleversée par les embruns et l’écume des vagues ; et on a pu craindre, dans certains mauvais jours, de la voir se rompre d’une manière subite. La péninsule aurait été alors tout à fait séparée du continent et serait redevenue une île comme autrefois l’île d’Antros ou du Médoc, ou plus récemment comme celle de Cordouan.

Les mêmes effets de corrosion se sont produits de tout temps un peu partout sur la côte ; et on a exactement relevé que, dans la période de 1774 à 1818 — antérieurement, par conséquent, à la grande entreprise de fixation des dunes qui a sauvé le pays, — la haute mer avait entamé de 300 mètres environ la plage de Soulac. C’était un avancement moyen de 8 à 10 mètres par an, et à cette corrosion de la côte occidentale s’ajoutait naturellement le bouleversement causé par la marche progressive des dunes.

Cet état de désordre a dû être le régime normal pendant toute la période du moyen âge. On ne retrouve plus trace, en effet, et on est même assez peu fixé sur les emplacemens de plusieurs