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nos ancêtres, chasseurs ou pêcheurs, trafiquans ou guerriers, qui eurent les premiers l’idée d’établir dans l’un des plus harmonieux coudes de la vieille Garonne un établissement sédentaire et définitif ont été réellement bien inspirés. Bordeaux se trouve à une centaine de kilomètres de l’Océan. Les marées de syzygies d’équinoxe atteignent 5 mètres au-devant de ses quais et le flot remonte même à plus de 60 kilomètres en amont, jusqu’à l’embouchure du Drot, dans la Garonne, près de Castets. L’amplitude de ces dénivellations n’est pas aujourd’hui un sérieux obstacle à la navigation régulière ; elle l’était bien moins encore dans les temps anciens, puisque tous les types de bateaux trouvaient sur le fleuve une profondeur suffisante ; elle ne pouvait, au contraire, que la favoriser, alors que les navires n’avaient pas de propulseurs mécaniques actionnés par une force extérieure ou artificielle, et que leur marche dépendait presque toujours des agens atmosphériques, les vents ou les courans, toujours capricieux et incertains. Le flot permettait donc facilement la remonte de la Gironde et de la Garonne ; le reflux aidait encore mieux à la descente.

A l’endroit même où se trouve aujourd’hui Bordeaux, il y avait autrefois une petite plaine marécageuse où coulaient un certain nombre de petits affluens de la Garonne, dont deux principaux, la Peugue et la Divize ou Devèze, pouvaient présenter une certaine commodité pour le mouillage des barques pendant les hautes eaux et pour leur échouage en basse mer. L’une de ces deux petites rivières, la Devèze, était en particulier alimentée par une source qui paraît avoir frappé de très bonne heure l’imagination des habitans du pays ; et on sait le culte véritablement sacré que, dès l’origine des temps, les hommes ont eu pour les sources et les fontaines, qu’ils regardaient comme le présent d’un dieu, bien plus, comme un dieu lui-même. Partout où l’eau jaillissait d’une manière naturelle et abondante par la force même de la nature, où elle avait, comme devait si bien le dire plus tard le droit romain, une « cause perpétuelle, » on reconnaissait l’action bienfaisante, la présence même d’un génie protecteur, numen, genius. Presque toujours les sources étaient entourées d’un petit bois, qui ne tardait pas à devenir lui-même sacré comme elles ; sur leurs rives, on dressait d’abord un modeste autel, bientôt après un temple ; et cela ne tardait pas à devenir un lieu de pèlerinage.

Il était assez naturel d’ailleurs, dans le Midi de la Gaule surtout, où le soleil est brûlant et l’ardeur de l’été desséchante, que