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le chiffre de la population bordelaise au commencement du IIIe siècle.

On croit encore avoir retrouvé, — mais on ne saurait l’affirmer, — les débris ou les souvenirs de deux thermes et de sept à huit temples, deux consacrés à Mercure, un à Jupiter[1], un à la Mère des Dieux, un à Esculape, un à Hercule, sur le port, un enfin au dieu topique ou génie protecteur de la ville. Ce dernier est le seul dont on soit parfaitement sûr. C’est vers l’an 200 environ, au moment où Bordeaux était la plus belle et la plus riche ville de toute l’Aquitaine, qu’il paraît avoir été construit, au cœur même de la cité qui est resté toujours le même depuis dix-huit siècles, à la place occupée aujourd’hui par le Grand-Théâtre. Il présentait une série de galeries et de colonnades de grandes proportions, ornées de chapiteaux corinthiens, un luxe écrasant de marbres et de dorures, tout un monde de cariatides et de statues, véritable type de ces monumens déclamatoires de l’art romain corrompu après deux siècles d’empire, où tout était puissant, somptueux, excessif et de mauvais goût. Quelques débris de l’énorme temple avaient survécu à toutes les destructions des barbares ; ils ont été rasés en 1677.

Bordeaux avait enfin, comme Rome, ses grandes avenues de tombeaux disposés en bordure sur chacune de ses routes. Tout le monde connaît les longs alignemens de monumens funèbres qui commencent aux portes de la Ville Eternelle, suivent les voies Appia et Flaminia, et se prolongent sur plusieurs kilomètres dans le grand désert de la Campine. Ces cimetières, placés ainsi à l’entrée de la cité, formaient en quelque sorte une première ville, la ville des ancêtres, urbs primorum, qu’on était d’abord obligé de traverser. Les morts étaient toujours sous la protection et sous le regard des passans ; et, avant d’entrer en relation avec les vivans, on donnait un souvenir aux disparus.

Les dispositions étaient les mêmes à Bordeaux ; et, bien que tout ait été ruiné et dispersé, on a trouvé quelques vestiges de ces avenues funéraires sur quatre des sept grandes routes qui convergeaient vers la ville. Elles ont cela de particulièrement intéressant que ce sont les seuls monumens qui puissent donner les limites de la ville ancienne, puisque Bordeaux, comme la plupart des villes de la Gaule romanisée, n’a eu pendant trois siècles

  1. Voir C. Jullian, op. cit.