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ses eaux, on voit la mer entière qui s’avance avec ses flottes[1]. » La vérité est qu’elle était rigoureusement rectangulaire et consciencieusement orientée, suivant les rites, de l’Est à l’Ouest. Le périmètre total était de 2400 mètres, deux côtés de 750 mètres et deux de 450. La superficie était de 30 hectares environ. Le ruisseau de la Peugue constituait le fossé d’escarpe de la façade Sud, et le fossé du côté Nord occupait l’emplacement des fossés actuels de l’Intendance et du Chapeau-Rouge. La Devèze coulait exactement au milieu de l’enceinte, dans la direction de l’Est à l’Ouest ; elle divisait ainsi la ville en deux parties sensiblement égales. Le port, entouré de magasins, de hangars et d’entrepôts, était complètement enfermé dans l’intérieur de la ville. La rivière passait sous le rempart par une porte qui portait le nom de Porta Navigera, située à peu près au milieu du quai moderne de la Bourse. En cas d’alerte, on fermait cette porte, et bateaux et marchandises étaient à l’abri d’un coup de main[2].

La prospérité revint, et avec elle le besoin de s’agrandir ; mais il était nécessaire de protéger par une nouvelle enceinte les nouveaux quartiers. Le coup de main de l’an 276 n’avait été que le prologue d’une série d’invasions. Tour à tour Wisigoths, Alains, Suèves, Vandales, Arabes, Normands, venant du Nord, du Sud ou de la mer, passèrent devant Bordeaux, ravageant à qui mieux mieux toute la contrée ; mais la vieille enceinte résista.

Vers l’an 1200 cependant, on jugea absolument nécessaire d’établir une nouvelle muraille du côté du Midi, pour englober des constructions récentes ; mais on conserva les trois quarts de l’ancienne ceinture, et on laissa intacts les trois côtés du Nord, de l’Est et de l’Ouest. La superficie de la ville protégée fut ainsi augmentée de près de moitié et atteignit près de 45 hectares. La nouvelle muraille avait au Sud, comme fossé d’escarpe, le ruisseau de Roqueyra, qui correspond à peu près au cours Victor-Hugo, et venait, par conséquent, rejoindre la Garonne, entre les quais des Salinières et de Bourgogne, vis-à-vis du magnifique pont de pierre actuel. L’enceinte avait plus de 3 kilomètres de circuit ; elle était percée de vingt portes ; elle renfermait une population qui avait doublé en moins de cinquante ans. On était, en effet, en plein sous la domination anglaise ; et ce fut, on doit le reconnaître, l’une des époques les plus prospères pour le commerce de Bordeaux. Les

  1. Auson. Clar. Urb. Burdig.
  2. Voir C. Jullian, op. cit.