mais tous les jeunes jugent que la vie des nègres valait au moins la leur, car, pour les nègres défrayés de tout, la terre ne renchérissait pas à vue d’œil ; les spéculateurs ne poussaient personne à la ruine.
Il y a peu de célibataires parmi ces mécontens ; les garçons partent de préférence pour les parties sauvages de l’Ouest où l’aventure les tente. Dans ces conditions, il reste quatre femmes pour un homme, toutes vieilles filles ayant de l’école et s’ennuyant dans une ferme. Quelques-unes enseignent à leur tour ; les journaux leur parlent de concerts, de théâtres, et elles soupirent en les lisant. Certaines conversations décousues, que l’auteur recueille, çà et là, en leur laissant leur spontanéité, leur accent de terroir, ouvrent les plus douloureux aperçus sur ces existences mornes. Nos paysans, après tout, ont les mêmes aspirations : participer aux avantages dont jouissent les habitans des villes, mais leur sort est moins dur, le travail auquel ils sont forcés est moins écrasant, moins inhumain, tient moins de l’impitoyable exploitation industrielle ; la terre dès longtemps domptée n’est pas pour eux une ennemie. De ce labeur, pire en effet que celui des esclaves, Hamlin Garland parle de telle façon qu’on serait tenté de l’appeler pessimiste, s’il ne prenait la peine de nous expliquer son genre d’optimisme, celui d’un homme qui, tout en voyant l’état lamentable des choses, le croit cependant susceptible de s’améliorer. Il ose dire la vérité, même très noire, sur le temps présent, mais il croit tenir une panacée pour la prospérité des temps futurs. Cette panacée, quelle est-elle ? Des droits égaux pour tous. C’est-à-dire suppression de tout monopole, de tout privilège.
Je pourrais insister sur les projets de réforme concernant le travail, le capital et l’excédent des salaires dont ce radical m’a longuement entretenue, mais ils auront plus d’intérêt dans la bouche d’un de ses personnages, le héros sympathique en somme du curieux roman de mœurs électorales intitulé : A Spoil of office[1]. La figure de Bradley Talcott, l’homme du peuple qui abandonne la charrue pour la politique, ressort très étudiée sur le tableau des trois grands mouvemens successifs produits par l’association révolutionnaire des fermiers d’Amérique : la Grange, l’Alliance et le Parti du peuple. Le triomphe de ces mouvemens est loin d’ailleurs d’être assuré. Ils se sont brisés,
- ↑ A Spoil of office, a story of the modem West, Hamlin Garland, nouvelle édition, Appleton, New-York, 1891.