n’avait pas jusque-là conscience de sa force. C’est un des thèmes favoris de Hamlin Garland. La femme qu’il faut passe sur le chemin d’un homme, et toute la vie de celui-là se trouve changée. Pour Bradley, le passage de miss Wilbur sera quelque chose de plus encore que le rayon de lumière qui réussit à tout idéaliser, même un travail ingrat : ce sera le fondement d’une véritable religion.
Il acquiert, grâce à cette inconnue, le pouvoir mystérieux du développement de soi-même. La première résolution qu’il prend est d’aller à l’école, et, quand Bradley a décidé une chose, il l’accomplit coûte que coûte. Dans le voisinage, existe un séminaire ; il y entrera en sacrifiant d’un coup toutes ses épargnes, il couchera par économie dans un sous-sol pareil à une cave, il fera tant bien que mal sa maigre cuisine ; à ses momens perdus, il fendra du bois pour vivre ; il sera l’objet des railleries de ses camarades, presque des enfans, dans la classe préparatoire où, malgré sa taille athlétique, on le relègue ; ses habits misérablement étriqués prêtent à rire. N’importe, il est soutenu par une espérance, qu’il n’ose s’avouer à lui-même, celle de la rencontrer un jour, de savoir qu’elle l’approuve. Et ceci n’est pas une invention romanesque, c’est, pour qui a pris la peine et le temps de les observer chez eux, l’état d’âme d’un nombre relativement considérable de jeunes Américains, ce qui fait grand honneur, par parenthèse, aux femmes de leur pays.
Il y a dans l’école deux cents garçons de l’espèce de Bradley, sans parler des jeunes filles, toujours plus fines que leurs condisciples et passablement coquettes. De ce côté, des tentations s’offriront à mesure que le diamant, d’abord si bien caché, sortira de sa gangue ; mais un ambitieux, cuirassé par surcroît de la puissante protection d’un amour idéal, ne s’arrête pas à cueillir des fleurs chemin faisant ; il est pour cela trop pressé d’arriver. Bradley a découvert en lui l’étoffe d’un orateur, certain jour de récitation où, en apostrophant les Carthaginois, il a fait tressaillir toute l’école. Ces gens de l’Ouest ont une passion pour l’art de la parole ; maîtres et élèves l’applaudissent.
— Pourquoi n’irais-je pas à Washington ? se demande-t-il aussitôt.
Mais, en attendant qu’il monte au Capitole, il travaille avec cette foi pathétique, faite d’audace et d’inexpérience, qui permet d’aventure à qui ne possède rien de conquérir le monde. Il travaille et il observe. Le tableau de la politique de Rock County n’est pas