Toute cette œuvre est hors de contestation.
Les critiques linnéens de Buffon sont trop bien informés pour y contredire. Ils se sont contentés de répandre le soupçon sur les hypothèses et les réflexions dont est remplie l’Histoire naturelle. Et, du même coup, ils ont rendu suspecte l’œuvre tout entière, aux yeux du lecteur ordinaire. Faudra-t-il donc, pour lire Buffon, être un naturaliste consommé, être capable, à chaque moment, de juger le bien fondé des hypothèses, de discerner la vérité de l’erreur ? C’est la condition de la plupart des ouvrages scientifiques, hors de leur nouveauté, de ne pouvoir être lus, avec profit, que de cette façon. Ils n’ont qu’un moment. Ce moment passé, ils ont en quelque sorte perdu leur rôle éducatif pour les lecteurs ordinaires : ils n’ont plus d’intérêt que de montrer, à qui sait les lire, les variations de la connaissance humaine et ses progrès.
Devrons-nous donc lire encore Buffon, et comment devrons-nous le lire ? Croirons-nous, avec Villemain, qu’il nous faille admirer l’écrivain sans apprécier le naturaliste et accepterons-nous, que « la science, se dérobant à nous, ne nous laisse que son vêtement dans les mains ? » Il y a là une bien dangereuse distinction. Ce serait la marque d’un mépris inadmissible pour la vérité que de séparer ainsi le style des idées et la forme du fond.
Buffon n’est pas un rhéteur. Il est le chef d’une école de naturalistes qui a conçu les sciences de la nature d’une autre manière que Linné et Cuvier. Il est le représentant d’une autre méthode. Il ne suffit pas de dire, avec M. de Lanessan et avec E. Perrier, que l’avènement du Transformisme a justifié ses hypothèses et vérifié la justesse de ses pressentimens, ou avec E. Montégut que la science de 1888 a cassé l’arrêt de la science de 1750. Il faut dire que Buffon est le créateur de la biologie générale, telle que M. Y. Delage la recommande aux naturalistes, et que son Histoire naturelle en est le premier essai. Il faut ajouter que la méthode de Buffon, de Lamarck, de Geoffroy Saint-Hilaire et de Darwin, doit partager la direction des esprits avec celle de Réaumur, de Linné et de Cuvier. Malgré l’apparence, elle n’a pas conduit à de plus grandes erreurs, comme nous le montrerons à propos de Linné et de ses critiques.