circonstance. Le gouvernement français l’eût-il voulu, — et il n’y songea pas un instant, — il n’aurait pu supporter qu’une force étrangère vint à ses portes comprimer un mouvement populaire en tout semblable à celui dont il était sorti lui-même. Un souffle d’indignation générale aurait balayé, comme une paille, un pouvoir encore assis sur une base très chancelante, qui aurait eu l’air de renier lâchement son origine et de trahir la cause commune de l’indépendance nationale. Car, s’il était vrai, comme je l’ai dit, qu’à la première heure les deux mouvemens de Paris et de Bruxelles n’avaient pas été concertés, ils n’avaient pas tardé à s’unir et à se confondre. L’alliance entre les révolutionnaires français et les libéraux belges, tentée déjà, comme on l’a vu, en pleine Restauration, dans les plus étranges conditions, était devenue maintenant naturelle, étroite et intime. Par la presse, par les réunions populaires, par tous les moyens de propagande et de publicité, entre libéraux belges et libéraux français de toute nuance et surtout de la plus avancée, c’était un échange public de bruyantes sympathies.
Pour beaucoup même, il ne s’agissait plus seulement de vœux formés pour l’indépendance de la Belgique : c’était aussi l’espoir de voir le retour de ces belles provinces à l’unité française. L’annexion de la Belgique à la France était un désir déjà exprimé tout haut, surtout dans les cercles militaires, et on n’avait pas pu empêcher de jeunes officiers d’aller s’engager dans les régimens formés à Bruxelles pour résister aux troupes royales. Dans les rangs mêmes de notre armée, d’anciens officiers supérieurs, ayant été laissés ou s’étant tenus à l’écart pendant toute la Restauration, rentraient avec leurs décorations et leurs grades, le cœur plein d’une passion de revanche que l’isolement et l’inaction, loin d’avoir refroidie, avaient aigrie et nourrie ; ils n’attendaient rien avec plus d’impatience que le mot qui leur permettrait de rentrer sur un territoire tant de fois baigné du sang français et d’aller abattre, au pied du Mont-Saint-Jean, le lion vainqueur, sinistre, insolent monument d’un souvenir néfaste.
On comprendrait mal les difficultés de la situation si l’on ne tenait compte de ce patriotisme militant, sentiment très délicat à ménager, dont rien ne donne l’idée aujourd’hui, mais qu’on rencontrait alors dans toutes les classes de la société française et tous les partis politiques presque sans distinction. Sans doute un grand et légitime désir de paix existait chez cette bourgeoisie