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livrer à eux-mêmes loin de l’infirmerie et de la surveillance, de leur état de dépression, de la nécessité de les avoir sous la main, je les ai dispersés sur l’heure. Ils se sont transformés en contremaîtres d’une école professionnelle, en chefs d’exploitation agricole, en jardiniers, en constructeurs de route, et, deux mois après, à ce ramassis d’infirmes s’était bien réellement substituée une compagnie prête à se rassembler au coup de sifflet, l’œil clair, le jarret sec, l’allure dégagée et le fusil prêt. C’est que chacun d’eux, en face d’une responsabilité et d’une initiative, s’était ressaisi : qu’ils avaient retrouvé une raison de vivre.

Et cela a été l’histoire de la plupart des compagnies.


D’autre part cette dispersion entraîne une autre conséquence, c’est que le soldat, au contact immédiat du pays, s’y attache et souvent y reste.

A Madagascar, la petite colonisation par le soldat libérable (et non libéré) donne lieu à une expérience intéressante et jusqu’ici satisfaisante, bien que très localisée encore. Le soldat désireux de se fixer dans la colonie, et présentant d’ailleurs toutes les garanties, reçoit une concession dès sa dernière année de service et est mis en mesure d’en commencer immédiatement l’exploitation. Il est déjà acclimaté, connaît le pays, la langue, les ressources, a traversé aux frais de l’Etat la période de tâtonnemens toujours si critique. Souvent, comme chef de poste ou chef d’exploitation, il a déjà eu l’occasion d’expérimenter les méthodes. En lui attribuant une concession tandis qu’il est encore au service, tandis que l’Etat pourvoit encore à ses besoins et en lui faisant des avances de semences et de matériel, on l’amène graduellement à sa libération, qui coïncide avec le moment où il entre de plain-pied dans la période de rendement utile de son exploitation. Plusieurs de ces tentatives ont déjà eu plein succès sur le plateau central.

C’est la tradition du maréchal Bugeaud, mais modifiée sur un point essentiel. Il ne s’agit plus ici de « villages militaires, » où tous les travaux de la vie rurale et de la vie domestique étaient réglés au son du tambour : ceux-ci, au contraire, ont le stimulant de l’initiative, de l’intérêt personnel, et de la responsabilité individuelle.

En échange de ces avantages, ils doivent à l’État[1] pendant

  1. Arrêté du 23 avril 1899.