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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/350

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souriait aux anges. Sa figure ovale, ses joues grasses, son teint presque aussi rose que celui d’une Japonaise, sa physionomie étourdie et franche ressortait parmi leurs visages mornes. En face de ces gens revêtus de hakamas et de haoris, M. Kumé, son secrétaire, Mikata et moi, nous représentions à des titres divers l’envahissement européen.

M. Kumé, plus gros que le commun des Japonais, mais bien proportionné, respire la civilisation américaine. Son complet à carreaux gris, sa casquette du même drap, son mac-farlane, ses bagues d’or et ses diamans, tout en lui semble importé de Chicago. Il a le front haut, si haut même que ses yeux, son nez épaté et sa bouche épaisse, me rappellent ces villages dont on aperçoit de loin les fenêtres pressées au bas d’un rocher à pic. Son sourire, d’une extrême douceur, découvre deux rangées de petites dents courtes et larges dans des gencives d’un rouge éclatant. Il a voyagé en Angleterre et en Amérique ; et, — pendant que le train roule à travers une plaine qu’on a nommée la prairie, et que la culture maraîchère des Japonais, trop nombreux pour les bonnes terres trop rares, morcelle et quadrille de jardins potagers, — il m’expose rapidement sa situation et ses idées politiques. Son élection est assurée. Si la ville de Mayebashi, où nous allons, lui manifeste quelque hostilité, Numata, sa ville natale, où nous irons ensuite, lui est tout acquise. Aucune candidature sérieuse n’a surgi contre la sienne. Le bruit répandu par ses amis qu’il dépocherait au besoin trente mille yens, a fait rentrer plus d’une ambition dans son trou. Un seul adversaire demeure encore ; mais il n’affronte point la bataille. Il se réserve d’intervenir seulement au cas où M. Khumé arrêterait les frais avant l’heure. Le malin piquerait alors sur son rival et en reprendrait à son compte les actions discréditées. Sa compétition virtuelle garantit leur lustre coutumier aux banquets électoraux, et préserve les citoyens des économies indécentes où un candidat sans régulateur se laisserait peut-être entraîner. Mais M. Kumé ne lésine pas. Il s’est mis à l’école des Yankees et, lui qui vient de construire un chemin de fer à Formose, conçoit la politique en homme d’affaires. Le Japon, sous l’impulsion des nouveaux traités, donnera bientôt dans les entreprises industrielles. C’est le moment, pour un ingénieur qui se respecte, d’entrer au Parlement. Ni libéral, ni progressiste, ni conservateur, homme du Nord naturellement ennemi des clans méridionaux, dont l’avidité depuis trente ans