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les pères avaient combattu pour le Shogun, je pensais que sa parole, plus énergique qu’éloquente, éveillerait quelques échos. On l’applaudit poliment. Igarashi s’avança. Il rayonnait et, avec des gestes remarquables, il prononça, sur les rapports de la neige et des vertus civiques, un discours émaillé des plus beaux adjectifs de la langue japonaise. On sourit à peine. Mikata marcha d’un pas délibéré vers la table, trempa ses lèvres dans le verre d’eau et fit l’éloge de Gambetta. Puis, après avoir cité Napoléon, il traita des diverses façons de comprendre le gouvernement représentatif. On ne broncha pas.

— Ils ne savent rien, me dit-il, en regagnant sa place.

Mais Nojô se leva, les bras le long du corps, l’éventail dans la main, et dès les premiers mots qui tombèrent de sa bouche, la foule tressaillit d’aise ; les visages, que contractait une laborieuse et stérile attention, se déridèrent, et les applaudissemens jaillirent, spontanés et drus.

Et voici ce que disait Nojô, chef des soshis : « Messieurs, l’honorable M. Mikata vient de parler de la France. Il se pourrait bien qu’on eût traduit du français ce proverbe que nous chantons : Le vent du printemps fait le bonheur des marchands de lunettes. En effet, le printemps est la plus douce saison de l’année : dès qu’il paraît, personne ne reste à la maison. Mais le vent soulève des nuages de poussière et tout le monde met des lunettes. On les met, on les cassé ; les marchands en profitent. L’élection de M. Kumé, c’est le vent du printemps qui souffle pour les kurumayas, les geishas, les restaurateurs et pour moi, soshi ! Je serais toujours pauvre, s’il n’y avait ni élections, ni M. Kumé… L’honorable M. Igarashi vous a entretenus de la neige, mais il ne vous en a pas dit les heureux présages. La neige, messieurs, assure la victoire. C’est pendant une nuit neigeuse que les Quarante-Sept Ronins pénétrèrent chez Moronaô et l’offrirent en sacrifice de vengeance aux Tablettes de leur maître. C’est par un temps de neige qu’à la porte Sakurada les Ronins de Milo coupèrent la tête d’Ii-Kammon-no-Kami ! — (Et Nojô, l’éventail près de l’oreille et la tête inclinée, comme s’il entendait au loin le bruit merveilleux de ces hauts faits d’armes, chanta la poésie populaire qui en consacre le souvenir.) — Vous le voyez, le ciel se porte garant que M. Kumé sera vainqueur. Et c’est encore avec la neige que ce Napoléon, qui fut aussi grand que notre Taiko-Sama, franchit les Alpes, qui sont plus hautes que nos montagnes. On