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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/398

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puis coloris de plus en plus sobre, mélodie plus contenue, harmonie plus sévère vers le haut, et idée de plus en plus dominante ; en un mot plaisir des sens décroissant, et plaisir de l’esprit croissant, beauté de plus en plus dégagée de la forme sensible. Far là même nous entrevoyons la beauté des mathématiques tout au haut, aux gradins extrêmes, si pure, si sereine, que précisément elle ne pouvait guère être montrée que par une gradation de beautés dont elle serait le terme extrême.

Au moment où nous allions clore ces lignes, une page d’Alfred Tonnellé[1] tombe sous nos yeux :

« Il faut, dit-il, que l’idée transluceat à travers le signe, sit symbolum translucens. Ce n’est pas moins vrai de l’art que du langage. L’œuvre d’art doit être comme une lampe d’albâtre dont la matière est pure et belle ; l’idée de la beauté brûle au dedans comme une flamme et en éclaire la forme. »

Dans l’œuvre mathématique l’albâtre est réduit à presque rien, nous contemplons la flamme elle-même, la lumière dans sa source !

La mathématique est le Temple de la nécessité logique, a dit M. J. Tannery[2]. Que les profanes ne viennent point inscrire sur le fronton ce vers que Dante plaçait sur la porte de son enfer :


Lasciate ogni speranza voi ch’intrate.


Non, la vérité laborieusement, passionnément recherchée, s’y révèle harmonieuse et belle, comme le chant d’une harpe aux accons d’une sonorité ample, majestueuse, grave, fortement rythmée… A considérer la science par excellence de ce qui se mesure, nous avons rencontré une beauté, sévère peut-être, la beauté, malgré tout, c’est-à-dire ce qui par essence n’est ni mesurable, ni pondérable.

Nous avons pensé que cela méritait d’être plus connu.


ADHEMAR.

  1. Fragmens sur l’Art et la Philosophie. Paris, 1874.
  2. De l’Idée de Nombre dans la Science (Revue de Paris, 1896).