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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/441

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confus, que le psychologue démêlait avec une rare perspicacité, et que parfois il était le premier à définir, nous les avons vus par la suite se préciser, se renforcer, développer leurs conséquences. Et, bien placés maintenant pour en apprécier la nature et la portée, ce qui nous frappe, c’est d’y retrouver une même tare morbide.

Ces maladies de l’âme, si M. Bourget les a jadis si bien décrites, c’est que lui-même alors il en subissait la contagion ; et, en les décrivant, il les propageait. Il n’est guère disposé à l’admettre aujourd’hui. Car le parti où il se range désormais est bien net, et la curieuse préface qu’il met en tête de la nouvelle édition de ses œuvres ne nous laisse aucun doute sur la nature des conclusions où il s’arrête. « Pour ma part, la longue enquête sur les maladies morales de la France actuelle, dont ces essais furent le début, m’a contraint de reconnaître à mon tour la vérité proclamée par des maîtres d’une autorité bien supérieure à la mienne : Balzac, Le Play et Taine, à savoir que pour les individus comme pour la société, le christianisme est à l’heure présente la condition unique et nécessaire de santé et de guérison. » Au point de sa carrière où il en est, et jetant sur son œuvre un regard d’ensemble, M. Bourget fait comme Balzac à l’heure où il s’avise du lien qui reliera les romans de la Comédie humaine, comme Dumas fils à l’heure où il s’avise d’écrire ses Préfaces et d’ailleurs comme tous les écrivains : il cède à l’inconscient désir d’introduire dans cette œuvre l’unité. Il croit, le plus sincèrement du monde, qu’il n’a jamais varié. Il est persuadé qu’à l’époque où il écrivait les Essais, il pensait déjà comme il pense aujourd’hui ; seules les nécessités de la méthode psychologique lui imposaient cette position d’analyste sans doctrine où il se plaçait volontairement. « Cette attitude d’observateur qui ne conclut pas n’est jamais que momentanée. C’est un procédé analogue au doute méthodique de Descartes. » Ce qui rend plus facile encore à M. Bourget cette illusion, c’est qu’au moment où il décrivait ces états de la sensibilité contemporaine, il n’a jamais manqué d’en signaler le caractère malsain. À l’occasion de Renan et des frères de Goncourt, il indiquait « le germe de mélancolie enveloppé dans le dilettantisme. » À l’occasion de Stendhal, de Tourguéniew et d’Amiel il montrait quelques-unes des « fatales conséquences de la vie cosmopolite. » Les poèmes de Baudelaire et les comédies de Dumas lui étaient un prétexte pour analyser plusieurs nuances de l’amour moderne, et pour indiquer « les perversions et les impuissances de cet amour sous la pression de l’esprit d’analyse. » Il énumérait les infirmités qu’entraîne le mal moderne du doute : vacillation de la volonté.