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tant de phrases. Ce pathos est un dérivatif. Par-là s’échappe le peu de tendresse dont nous sommes capables ; il ne nous en reste plus pour l’usage de la vie réelle. Sous ces phrases mouillées et coupées de sanglots, je devine la dureté d’âmes prêtes à se refermer sur elles-mêmes et la sécheresse de cœurs prêts pour la haine.

Et nous avons vu reparaître, sur la fin du siècle, le même mal qui en avait attristé les débuts et qu’on avait baptisé : le mal du siècle. Il nous revenait sous une autre étiquette, décoré, comme il convenait, d’une appellation pédantesque et d’ailleurs impropre. Car pessimisme et optimisme ne désignent que des hypothèses pour expliquer le système du monde et ne préjugent en rien les dispositions d’esprit de celui qui les professe ; il n’est pas contradictoire de concevoir un optimiste triste ou un pessimiste gai. Aussi bien la plupart de ceux qui se piquaient d’être pessimistes ne s’étaient guère interrogés sur le système du monde et avaient d’autant moins réfléchi sur les conditions de la vie qu’ils étaient pour l’ordinaire fort jeunes. Mais ils étaient déjà découragés, et las de tout, comme l’avaient été leurs aînés. Encore la désespérance des René, des Oberman, des héros byroniens et des romantiques avait-elle une espèce de grandeur. Leur désenchantement venait en partie de ce qu’ils s’étaient enchantés de trop beaux rêves. C’est une noblesse que de pouvoir être déçu. Leur déception déclamatoire, lyrique et théâtrale se tournait en révolte. Nos pessimistes n’ont pas rêvé, ils ne sont pas tombés de haut, ils sont entrés de plain-pied dans cette tristesse morne, sans poésie, sans éclat, ils sont trop alanguis même pour se révolter. Tristesse faite du dégoût de soi, d’une espèce d’inaptitude à la vie, du sentiment de sa propre impuissance, de la peur de l’effort et de cette paresse à laquelle on allègue pour excuse un monotone : à quoi bon ?

À la faveur de cette débilité de l’âme française et profitant de ses défaillances, voici venir, par la brèche une fois ouverte, le cosmopolitisme littéraire. L’invasion des littératures étrangères, leur poussée tumultueuse et violente est un des faits caractéristiques de la période que nous étudions. On entend bien ce que nous voulons dire et loin de nous la seule idée de vouloir blâmer ce mouvement de curiosité qui nous porte à nous enquérir des chefs-d’œuvre de la littérature européenne. Comment le ferions-nous dans une Revue qui a toujours tenu à honneur de se montrer largement hospitalière et qui considère comme une partie de sa tâche de mettre l’esprit français en communication avec l’esprit étranger ? Nous nous rappelons quel profit a trouvé plus d’une fois notre littérature à s’assimiler des