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de la représentation proportionnelle. Il faut aussi se placer dans l’hypothèse où l’on constituerait une des deux Chambres conformément à la représentation des intérêts ou des groupes, alors que l’autre continuerait à fonctionner sous le régime du suffrage universel ordinaire.

Quelle que soit l’organisation du corps électoral, les abus du procédé majoritaire ne peuvent guère être contestés. Tout d’abord on lui reproche le fait même de laisser sans représentation des fractions souvent considérables d’électeurs : leur droit de vote devient aussi stérile que s’ils étaient frappés d’incapacité légale. Pour peu qu’ils soient aux prises avec des partis historiques, possédant une majorité compacte et en quelque sorte héréditaire, cette exclusion peut se prolonger pendant plusieurs générations. Les minorités se désintéressent de la vie publique et concentrent leurs rancunes ; la majorité se considère, et non sans fondement, comme constituant tout le pays légal. Que devient alors la souveraineté nationale telle que Mirabeau Fa définie à la veille de la Révolution, en disant que tout citoyen doit être électeur ou élu, représentant ou représenté ?

Soutiendra-t-on que les vaincus du scrutin sont représentés par les élus de leurs adversaires ? C’est ajouter l’ironie à l’injustice. Non seulement la minorité se voit imposer des représentans qu’elle repousse, mais encore elle sait, d’avance, que ces prétendus mandataires emploieront à contrecarrer ses vues l’autorité qu’elle est censée leur avoir déléguée ; l’esprit de parti leur en fait un devoir, et, d’ailleurs, leur réélection est à ce prix. Il peut arriver qu’un même parti emporte, — ou à peu près, — tous les sièges d’une législature. Le cas s’est présenté plus d’une fois parmi les États de l’Union américaine et dans certains cantons suisses. Le plus souvent, néanmoins, les groupes politiques se partagent, dans une mesure quelconque, l’ensemble des circonscriptions, et l’on est même parti de là pour bâtir, en l’honneur du régime majoritaire, toute une théorie de compensations. Malheureusement pour rétablir l’équilibre, il faudrait faire en sorte que chacun des partis gagnât d’un côté ce qu’il perd de l’autre et que, en fin de compte, tout le monde retrouvât son dû. Or, ces prétendues compensations varient nécessairement avec la répartition accidentelle des électeurs dans les divers districts. En Belgique, où les résultats électoraux ont été minutieusement analysés, on a constaté que, dans certaines élections, un parti, avec moins de vingt-huit mille