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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/468

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plus loin, que ce Gœrres a exercé une influence énorme sur la pensée de son temps. De même il fait pour le poète catholique Clément Brentano ; en vingt endroits il nous parle de son talent et de son importance ; mais il ne s’occupe directement de lui que pour le déprécier. De Janssen, l’admirable historien catholique, il se borne à citer le nom, parmi d’autres. Et à la façon dont il traite Richard Wagner ou Henri de Treitschke, on devine que l’antisémitisme n’est pas seulement pour lui un préjugé odieux, mais la marque infaillible d’une intelligence médiocre et d’un mauvais style.

Toujours, d’ailleurs, il s’inquiète des opinions politiques et religieuses des écrivains qu’il étudie. Il le fait involontairement, presque inconsciemment ; mais la chose, pour nous, n’en est que plus typique. Elle nous apporte un nouveau témoignage d’un état d’esprit qui rappelle, toutes proportions gardées, celui des écrivains français du XVIIIe siècle. Comme Voltaire, comme Diderot, la plupart des critiques allemands d’aujourd’hui tiennent « l’écrasement de l’Infâme » pour le devoir le plus sacré de tout homme qui pense ; et volontiers ils mesurent le mérite d’un auteur d’après son plus ou moins de haine contre l’esprit chrétien. Ainsi s’explique l’importance extrême qu’attachait le malheureux Nietzsche à son Anté-Christ, dont la hardiesse vaut exactement celle des paradoxes du baron d’Holbach ou de La Mettrie. Ainsi s’explique le caractère antireligieux donné, tout récemment, aux fêtes en l’honneur de Gœthe. Et ainsi s’explique la partialité de M. Richard Meyer, qui le porte à exalter Bœrne et à méconnaître Gœrres.

Une seconde conclusion qui ressort, pour nous, de son livre, c’est que les soi-disant progrès du cosmopolitisme n’empêchent pas l’Allemagne de garder, aujourd’hui encore, un idéal littéraire différent du nôtre. Certes, les grands courans de la pensée européenne, depuis cent ans, se sont fait sentir dans la littérature allemande aussi bien que dans les littératures française et anglaise : le romantisme y a succédé au classicisme, le naturalisme au romantisme ; et il n’y a pas jusqu’à l’école parnassienne dont on ne puisse retrouver l’équivalent dans l’école de Geibel et du comte Schack. Mais chacun de ces mouvemens a pris, en Allemagne, une forme spéciale, de telle sorte que les œuvres qui en sont issues n’ont pour ainsi dire aucune ressemblance avec les œuvres issues des mêmes mouvemens dans les autres pays. Rien de plus significatif, à ce point de vue, que la définition que nous donne M. Meyer du talent de certains poètes, romanciers, ou dramaturges. Les qualités qu’il loue chez eux nous apparaîtraient comme autant de défauts chez des auteurs français, à moins encore qu’il ne loue chez