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patrie semblait respirer en lui, mais non pas en lui seul cependant, et peut-être a-t-il eu le tort, dès ce moment, de se faire du patriotisme une spécialité un peu trop exclusive. Tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts, il a vivement attiré l’attention sur lui ; il est populaire ; il est aimé des foules ; il le mérite à certains égards. Pendant d’assez longues années, il s’est contenté d’être ainsi le clairon du patriotisme ; puis il s’est mis à faire de la politique, et alors son caractère s’est altéré. Il a voulu donner une constitution à la France, celle de 1875 ne lui suffisant plus. Ici encore, M. Déroulède n’est pas seul à poursuivre les mêmes vues. Depuis quelque temps surtout, les défauts de la constitution actuelle ont été sentis et dénoncés par beaucoup de monde. Toutes les constitutions en ont, et celle de M. Déroulède n’en est certainement pas plus exempte que d’autres. On s’en apercevrait bien vite à l’usage : elle suppose un homme de génie à la tête de nos affaires, et les hommes de génie, si fréquens dans notre histoire, sont précisément ce qui nous manque le plus aujourd’hui. M. Déroulède n’en a encore rencontré qu’un, qui était, hélas ! le général Boulanger. D’ailleurs, nous ne lui contestons pas le droit d’imaginer une constitution, ni même de se tromper en l’imaginant. C’est un exercice d’esprit auquel les Français se sont Livrés dans tous les temps, et presque un trait du caractère national. Ce que nous lui refusons, c’est le droit de nous imposer par un coup de force la constitution qui a ses préférences. S’il y a lieu de changer ou de modifier celle d’aujourd’hui, question très complexe et sur laquelle nous faisons nos réserves, il faudra y procéder par des moyens moins expéditifs que ceux de M. Déroulède, mais plus respectueux de la volonté nationale. On ne donne pas une constitution à un pays comme ou met un mors à un cheval. M. Déroulède parle beaucoup de rendre au peuple sa souveraineté : en fait, il commence par la supprimer. Si nous désavouons l’arrêt qui vient de le frapper, ce n’est pas à dire que nous approuvions ses idées, ni sa conduite : c’est seulement parce qu’on n’avait plus le droit de le poursuivre pour un délit ou pour un crime dont le jury l’avait déclaré innocent.

M. Déroulède n’est pas seulement l’auteur d’une constitution qui n’est pas, au surplus, tout à fait inédite : il est encore le chef d’un parti qui s’intitule lui-même nationaliste, comme si le nationalisme n’était pas un sentiment commun à tous les Français, presque sans exception. Personne n’a le droit de s’en décerner le monopole. Nous sommes tous nationalistes, chacun à notre manière, et nous ne saurions trop regretter qu’on ait fait de ce mot la chose d’un parti, alors qu’il aurait