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les Boers. Les rôles étaient intervertis : les nègres brutalisaient les colons, tandis que ceux-ci, humiliés devant leurs anciens esclaves, n’osaient guère lever la tête.

Mais l’exaspération allait bientôt déterminer la crise. Cette crise éclata de 1835 à 1838, sous la forme de ce que l’histoire appelle le grand exode (de groote trek). Par milliers, les familles boers résolurent de fuir cette Égypte avec ses fureurs pharaoniques et de s’aventurer dans le grand désert. Plutôt mourir dans la lutte contre les fauves et contre les sauvages que de s’avilir davantage dans une telle ignominie ! Ils attelèrent leurs bœufs à leurs chariots, les chargèrent de tout ce qu’ils pouvaient emporter, et, la Bible en tête, ils descendirent dans le Natal, gravirent le plateau d’Orange, quelques-uns même passèrent déjà le Vaal. Dans leurs rencontres avec les Zoulous de Tchàka, sous Dingaan, et de Moselekatsi, ils furent affreusement éprouvés, et partout, derrière leurs ennemis, ils trouvèrent les missionnaires anglais comme conseillers et comme meneurs. Mais ils se sentaient libres : ils se battirent avec un élan et un héroïsme dignes d’une Iliade ; et, après des sacrifices inouïs, ils purent enfin fonder leurs trois petites républiques, en Natalie, sur les bords de l’Orange, et au-delà du grand Vaal. C’est alors que l’Angleterre commit la faute grave de les réclamer à titre de sujets britanniques. On connaît la vieille théorie anglaise, que le caractère de subject to the Queen est indélébile : Nemo exuere potest patriam. Des troupes débarquèrent à Durban ; d’autres escaladèrent le plateau d’Orange. En juillet 1842, les Boers furent battus près de Durban ; le 29 août 1848, à Boomplaats, sur le plateau d’Orange ; et, nonobstant leurs protestations, la Sovereignty of the Orange-River et la Natalie furent incorporées, par proclamation, dans l’empire britannique. C’est ainsi que l’Angleterre a poussé au désespoir ces colons intrépides.

L’Angleterre les avait humiliés devant leurs esclaves, exposés à un vagabondage meurtrier, et comme chassés du foyer de leurs ancêtres. Alors, au lieu de se révolter, ils s’étaient exposés, eux, leurs femmes et leurs enfans, à toutes les horreurs d’un exode et à toutes les atrocités d’une lutte inégale avec les indigènes. Et maintenant qu’ils voyaient approcher l’heure où ils cueilleraient le fruit de toutes leurs souffrances, le Pharaon, comme ils l’appelaient, se lançait à leur poursuite, et, à l’aide d’une théorie de droit international que, depuis 1870, l’Angleterre elle-même s’est