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conscience. Le premier venu commence à se sentir un homme d’importance par le seul fait qu’il porte dans ses veines le sang de sa nation. Tous se sentent relevés, exaltés, glorifiés. La grandeur, la puissance de leur pays, doivent être mises à profit pour leur propre grandeur, pour le bien-être de leur famille, pour l’accroissement de leur fortune. Une fois la barrière du droit tombée, en politique, il n’y a plus de raison pour que la barrière morale les retienne dans leur acheminement vers l’appât du trésor. Alors la pente fatale commence à se dessiner. Les capitalistes ne cachent plus leur arrogance. Jusque dans les rangs des nobles, appauvris par la baisse des fermages ou endettés par le jeu, ils lancent l’alléchement corrupteur de leur convoitise. La machine électorale subit leur influence. La presse fléchit. L’opinion publique se laisse entraîner. Les hommes d’Etat eux-mêmes se sentent menés par la bride. Et la conséquence funeste s’accentue, chaque fois qu’on voit encore passer à l’ennemi une des convictions les plus robustes. Optimi corruptio pessima.

Parce que le caractère anglais dans son essence est doué d’une si intime et si noble virtualité, sa déchéance n’en serait que plus affreuse. « Bien bas choit, comme dit le proverbe, qui était monté le plus haut ! » Le progrès humain perdrait, par la chute de l’Angleterre, un de ses organes les plus délicats. Nous ne pouvons nous passer de cette Angleterre qui a été noble, fière et chrétienne, qui peut le redevenir encore. Et c’est pourquoi les hommes de bonne volonté dans l’Europe entière, les plus belles intelligences dans le monde entier, s’attristent et s’indignent à la fois à ce spectacle farouche et désolant que l’Angleterre persiste à nous imposer par cette guerre de conquête, l’une des plus iniques que mentionne l’histoire du XIXe siècle.

Heureusement, l’avenir de l’Angleterre n’est pas encore décidé. Toutes nos prières sont pour qu’elle se relève. Ses revers pourraient devenir son salut. Déjà l’un de ses archevêques a fait entendre la voix de la repentance et de l’humiliation. Un groupe d’hommes éminens, faisant preuve d’un courage moral qui commande notre plus sincère admiration et s’inspire des meilleures traditions de Gladstone, — les Morley, les Harcourt, les Courtney, les Stead, les Clark, les Labouchère, les Harrison et tant d’autres, — veillent sur les trésors les plus sacrés de leur nation, disputent pied à pied le terrain aux jingoes, et élèvent la voix si haut que bientôt leur vox clamantis in deserto sera entendue jusque dans