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résument la diversité de besogne et de situation des modistes d’aujourd’hui.

Autour des longues tables de l’atelier, où les grands manchons verts concentrent la lumière des lampes électriques, sont assises coude à coude, ici les « petites mains » à 50 francs par mois et les premières apprêteuses, là les garnisseuses ordinaires et les « créatrices » du rang supérieur à 500 francs de gages mensuels. Sous les doigts de celles-ci, les informes choses de tulle ou de carton, qui ressemblaient tout à l’heure à des sacs d’étoffe ou à des moules de pâtisserie, à des tambours de basque ou à des boîtes à bonbons ayant reçu des coups de poing, prennent doucement, tout doucement, l’aspect de chapeau.

Tandis que de leurs mains sortent des objets gracieux, ces jeunes et fraîches créatures travaillent en riant, et leur gai babil forme une musique agréable. Elles paraissent s’amuser de leur ouvrage ; elles l’aiment en tout cas et sont fières quand elles voient « leurs » chapeaux passer, dans la rue, sur des fronts qui en sont dignes. Quant aux demoiselles des salons de vente, leur principal mérite est d’essayer les modèles en les faisant valoir sur des forêts de cheveux ; car un chapeau sur le champignon « n’existe pas, » il ne commence « d’être » que sur une tête.

Il faut fixer le choix des clientes, tandis qu’affairées, elles vont d’un coin à l’autre, parmi ces longues tiges de bois où se balancent les coiffures fleuries, — parterre à la française planté de rosiers greffés, — et tandis qu’anxieuses, elles restent devant la glace, les traits crispés par le doute, se souriant à elles-mêmes avec angoisse parce qu’elles ne sont pas tout à fait sûres d’être, avec ces oiseaux, ou ces fleurs, ou ces rubans, aussi jolies qu’elles peuvent être jolies. Les maîtresses vendeuses apprécient d’un coup d’œil l’esthétique de chaque physionomie : elles savent, par des cadres harmonieux, raccourcir les longs nez et rabattre les nez retroussés. On ne les écoute pas toujours : l’étrangère, entichée d’un « Montespan » volcanique qui ne lui va nullement, prétend, malgré tout, qu’il lui aille ; la bourgeoise placide qui demande « le chapeau de Mademoiselle X…, » flambante divette du boulevard, serait furieuse qu’on lui déconseillât trop d’en faire emplette, comme ne convenant pas à son genre de beauté.