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Nouveau Monde, a trouvé récemment un domaine où il règne sans conteste : celui des fourrures artificielles.

Sous les noms fantaisistes et euphoniques de « loutre belge » ou de « castor d’Australie, » de « chinchilla de Mongolie » et de « vison du Bosphore, » huit millions de lapins français donnent chaque année aux petites bourses la jouissance enviée de se couvrir du pelage des bêtes exotiques. Ces imitations représentent à peu près les quatre cinquièmes des fourrures que nous voyons passer sur les épaules de nos concitoyens et vont en outre, dans le nord de l’Europe, réchauffer les habitans des contrées qui nous fournissent, en échange, les peaux authentiques de leur pays. L’exportation des lapins ainsi transformés atteint en effet une valeur annuelle de plusieurs millions de francs. Les chats, que les gargotiers ont servis en gibelottes à leur clientèle, et dont la dépouille se vend pour quelques sous, sont employés aussi au nombre d’environ 80 000, et aussi les renards, les putois et les sconses ou « puans, » dont la peau s’achète 4 ou 5 francs. Mais ce ne sont que d’insignifians appoints auprès des soixante avatars différens que subissent avec succès les toisons moelleuses de nos lapins domestiques.

L’hiver est la morte-saison de cette industrie, centralisée dans des usines où la préparation des peaux s’exécute au moyen de vingt-cinq types de machines successives. Cela tient à ce que le poil d’été, au moment où l’animal fait sa mue, ne vaut rien. Le bon lapin doit être tué en janvier, février ou mars, et la marchandise est mise en œuvre durant la belle saison. À l’arrivée, après l’arrachage du gros poil ou « jar, » les peaux passent à l’atelier des « chiqueteuses, » qui coupent têtes, pattes et queues. Les têtes sont vendues 15 francs les 100 kilos aux fabricans de colle ; les pattes, les déchets et balayures, qui renferment 12 pour 100 d’azote, sont expédiés dans le Midi, où ils servent d’engrais pour la vigne. L’épiderme intérieur est ensuite coupé au couteau chez les mâles et, chez les femelles, arraché à la main.

Un tiers des peaux, plus ou moins détériorées, doivent être l’objet d’un raccommodage préalable ; on leur remet des morceaux, cousus à la mécanique ; une bonne ouvrière en rapièce ainsi près de 500 par jour. Puis viennent une série d’apprêts compliqués : le foulage, à l’huile de colza, qui assouplit le cuir comme un gant ; le « parage » qui le blanchit ; le « battage » qui décolle le poil ; le peignage ; le dégraissage, dans une mixture