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réunissait ainsi autour de ce drapeau, tandis que les Musulmans, qui ne souffrent jamais sans impatience les prétentions des peuples qu’ils ont autrefois asservis et qu’ils se sont accoutumés à dominer, étaient excités au plus haut degré et disposés à toutes les violences. Des incidens extrêmement graves s’ensuivirent à bref délai : l’un fut le meurtre des consuls de France et d’Allemagne à Salonique, le 6 mai 1870, par une foule fanatisée et sous les yeux indifférens des fonctionnaires turcs ; l’autre fut le développement des fermens insurrectionnels bulgares, et, dans la région qui s’étend au pied des Balkans, de la Macédoine à la Mer-Noire, une lutte, intermittente sans doute et disséminée, mais très caractérisée, contre les forces administratives et bientôt militaires du gouvernement. Celui-ci, qui eût pu l’apaiser par des mesures fermes et conciliantes, eut recours à de formidables rigueurs, et la répression de quelques désordres, sérieux, mais isolés, dégénéra en massacres qui émurent l’Europe entière.

La guerre serbe et monténégrine, conséquence de ces divers épisodes, vint bientôt les compliquer encore : la Porte n’en pouvait rien attendre, puisqu’il était certain, comme on l’a vu depuis, que le succès même lui serait inutile et que la Russie lui interdirait d’en profiter.

Enfin deux révolutions de palais, rapides et sombres, ébranlaient les ressorts du gouvernement et donnaient à cette situation tourmentée un aspect tragique. Le 30 mai 1876, Abdul-Azis, soudain entouré, saisi et emprisonné par une coalition de généraux et de vizirs, était déclaré déchu du trône et périssait, quelques jours après, sans qu’on ait jamais su au juste s’il fallait attribuer sa mort à un suicide ou à un assassinat. Son neveu Mourad, proclamé à la Porte par les chefs militaires et civils du complot, Hussein-Avni, Midhat et autres grands fonctionnaires du palais et de l’Etat, était déposé trois mois après, déclaré atteint de folie, relégué à Tchéragan, et remplacé par le prince régulièrement appelé après lui à la couronne, son frère Abdul-Hamid. Dans l’intervalle, le meurtre d’Hussein-Avni, grand vizir, et de Rachid-Pacha, ministre des Affaires étrangères, tués le même jour, dans un banquet, par un fanatique, attestait la surexcitation des passions farouches. Le prestige impérial subsistait sans doute, car des faits analogues se sont souvent produits en Orient sans altérer l’inviolable respect des peuples pour la puissance souveraine, mais la tâche était rude et périlleuse pour le jeune prince,