la Porte persistait à repousser les dernières clauses qui lui étaient soumises, il avait ordre de s’éloigner de Constantinople. Deux jours plus tard, le gouvernement turc annonça qu’il ne consentait qu’à la formation d’une commission de fonctionnaires ottomans : c’était une fin de non-recevoir. Le général Ignatiew résuma rapidement les faits, exposa en termes élevés la gravité de la situation, et rejeta sur la Turquie la responsabilité des événemens qui allaient suivre. Après quelques observations contraires présentées par Safvet et Edhem-Pacha, les plénipotentiaires abandonnèrent leurs sièges en déclarant que leur tâche était achevée (20 janvier 1877). Le lendemain, je soumettais à leur signature le dernier protocole, dans une soirée à l’ambassade d’Autriche. Ainsi s’accomplissait, au bruit d’une fête mondaine, la rupture qui présageait une guerre longue et sanglante. Dans la même semaine, tous les ambassadeurs, après avoir accrédité mes collègues et moi en qualité de chargés d’affaires, avaient quitté le Bosphore.
Cette conclusion fut accueillie par les cercles politiques et par la population de Constantinople avec une joie un peu affectée peut-être, mais qui ne pouvait nous surprendre. La Conférence était extrêmement impopulaire : les Musulmans et la Porte voyaient dans sa dissolution un succès de leur diplomatie, leur affranchissement de la tutelle européenne ; les chrétiens des divers rites montraient une satisfaction pareille, d’abord pour n’être point soupçonnés de connivence avec l’étranger, ensuite parce que les réformes proposées par nous ne les intéressaient point, n’étant destinées qu’aux Slaves ; enfin, parce que plusieurs d’entre eux se flattaient vaguement de tirer quelque profit d’une constitution applicable, en principe du moins, à leur triste situation. On se félicitait donc ouvertement, aussi bien à Péra, à Galata et au Phanar qu’à Stamboul, d’être délivré d’une assemblée que, depuis deux mois, la presse ottomane, les orateurs des rues et des mosquées, les conseillers du gouvernement et les étudians, les agitateurs de toutes les races et de tous les cultes déclaraient, à l’envi, importune et arrogante. On semblait avoir oublié l’ombre menaçante de la Russie qui se dressait sur la frontière du nord, l’isolement de la Turquie, les redoutables éventualités de l’avenir.