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relations d’affaires avec le palais, et qui avaient reçu les confidences incomplètes et obscures de subalternes effarés. Ce fut seulement dans la journée que mes collègues et moi, instruits avec précision par nos drogmans à leur retour de la Porte, fûmes en mesure de télégraphier à nos gouvernemens. Les amis de Midhal étaient consternés, mais n’osaient qu’à demi-voix exprimer leur tristesse ; du reste, il n’y eut pas une manifestation, pas un cri. L’empire s’inclina dans un respectueux silence devant l’autorité traditionnelle qui s’affirmait avec tant d’énergie. Le parti constitutionnel s’était à peu près évaporé : le Sultan demeurait l’arbitre incontesté des destinées de l’Etat et des institutions qu’il était libre de détruire ou de conserver. Comme il n’avait rien à en craindre, et qu’il pouvait éventuellement s’en servir, ce fut à ce dernier parti qu’il s’arrêta jusqu’à nouvel ordre. Elles étaient, après tout, l’argument qu’il avait opposé aux revendications étrangères, et leur maintien témoignait de la fixité de sa politique. Il nomma Edhem-Pacha, naguère son plénipotentiaire à la Conférence, au poste de grand vizir, pour bien indiquer qu’il persévérait dans les principes de résistance à l’Europe, et qu’il n’avait voulu rapper qu’un sujet téméraire. Son hatt impérial déclara même expressément que la constitution n’était pas atteinte, et annonça la promulgation des lois réformatrices. Comme on savait la Russie hostile à une évolution libérale non moins contraire à ses vues qu’à son propre régime, peut-être se complaisait-on à la braver. Edhem-Pacha, au cours du premier entretien que j’eus avec lui après la crise, qu’il attribua, en termes très réservés, à l’altitude indépendante de Midhat et de ses amis, m’affirma qu’en ce qui concernait les affaires intérieures, les intentions du Sultan n’étaient en rien modifiées. On prit sur-le-champ des mesures pour les élections dans toutes les provinces. La Porte continua avec plus d’activité que jamais la rédaction de nombreux projets législatifs, et bientôt l’on annonça que la Chambre des députés était convoquée à Constantinople.

Les opérations électorales s’étaient poursuivies au milieu de la complète indifférence des populations, qui, n’ayant aucune conscience de leur force et de leurs droits, non plus que du système représentatif, considéraient le parlement qu’on leur faisait élire comme une de ces assemblées locales dont elles avaient de tout temps éprouvé la stérilité. Il n’existait pour elles d’autre pouvoir que celui du Sultan, et elles étaient assez bien fondées à