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la met en danger par ses courans rapides et ses inondations. Tour à tour trop riche et trop pauvre en eau, elle ne peut guère être utilisée, dans la majeure partie de son cours, que pendant la moitié à peine de l’année. L’écart entre son débit d’étiage et celui de ses crues extrêmes est dans la proportion de 1 à plus de 300, dix fois plus que pour la Seine et même le Rhône. On n’estime pas à moins de 500 000 à 1 500 000 mètres cubes la quantité de sables et de terres enlevée par la Loire, suivant les années, en amont de son confluent avec l’Allier. L’Allier seul lui apporte un volume de menus matériaux bien plus considérable, plus de 6 millions de mètres cubes par an[1]. Cette masse prodigieuse de débris de toute sorte arrachés à toutes les gorges latérales, chemine ainsi jusqu’à la mer, se déposant de distance en distance, sans ordre et sans règle, exhaussant les bas-fonds, créant des flèches de sable, transformant et déplaçant les îles, modifiant après chaque grande crue la ligne du thalweg, la longueur et la profondeur du lit et même l’aspect général de la vallée. Cette double action d’érosion et de dépôt fait de la Loire un fleuve véritablement errant, que sans doute le travail de l’homme corrige sans cesse, mais qu’il n’a pu encore complètement dompter.

Ce qui caractérise essentiellement la Loire, c’est la largeur démesurée de son lit, et son encombrement par un nombre considérable d’îles et de dépôts souvent mobiles. « La Loire, dit quelque part Stendhal, est ridicule à force d’îles. Une île doit être une exception pour un fleuve bien appris ; mais, pour la Loire, l’île est la règle, de façon que le fleuve, toujours divisé en deux ou trois branches, manque d’eau partout. » Le trait est plaisant et même assez juste ; mais, au demeurant, la Loire est un des plus beaux fleuves de l’Europe. Son développement est de près de 1 000 kilomètres ; son bassin comprend plus du cinquième de la superficie totale de la France. Bien qu’elle ne soit pas orientée du Sud au Nord et par suite n’ait jamais été un grand chemin des nations et du commerce, elle a été longtemps navigable et même très fréquentée. Elle le redeviendra certainement un jour ; et, quelle que soit la solution de l’avenir, — canal latéral ou régularisation du lit par des travaux en rivière, — on ne saurait douter, en présence de la multitude et de l’importance des intérêts engagés, que la situation, aujourd’hui assez précaire, ne soit,

  1. E. Reclus, Géogr. univ., t. II, ch. VII, 1.