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Peu importe à nos lecteurs l’histoire des débuts de la bonneterie ordinaire, puis de la bonneterie de luxe à Ganges ; ils furent d’abord modestes, car pendant longtemps Ganges n’a été connue que par ses tanneries et l’excellence de ses moutons[1]. Mais vers la fin de l’ancien régime, la fabrication des bas de soie y fonctionne avec beaucoup d’activité. La soie n’y est pas « moulinée » par l’intermédiaire de moteurs mécaniques, mais « ovalée » à la main par des procédés primitifs qui n’en donnent pas moins de la marchandise supérieure. Grâce à une coïncidence des plus heureuses, non seulement la soie provenant des cocons du pays est magnifique, mais les eaux de l’Hérault, très pures sans être trop crues, donnent après blanchissage « ou décreusage » un lustre inimitable à la soie. Ganges envoie alors ses produits à l’étranger dans toutes les directions ; toute l’Europe, les États-Unis, et par l’Espagne toutes ses colonies, sont tributaires de l’humble bourgade cévenole.

Sans doute la tourmente révolutionnaire dut nuire gravement à une industrie toute de luxe ? Pas tant qu’on serait tenté de le croire, car, à la fin du Consulat, le maire de la ville, interrogé sur l’émigration qu’elle a subie dans le personnel des travailleurs, ne constate le départ que d’un petit nombre d’ouvriers, faiseurs de bas de coton ou monteurs de métiers, qui ont passé en Espagne avec leur famille, emportant leurs outils. Aucun « artiste en teinture » (sic) n’a suivi leur exemple.

L’époque impériale ne favorise qu’incomplètement l’industrie gangeoise. D’une part, en effet, la guerre d’Espagne, à partir de 1808, enlève de précieux débouchés ; d’autres part, les splendeurs de la cour de Napoléon Ier, les efforts du souverain pour encourager le luxe à Paris et en province, l’annexion de nombreux territoires à l’ancienne France, les modes des hommes et encore plus celle des femmes, concourent à faire travailler les manufacturiers de Nîmes et de Ganges.

Avec la Restauration, le commerce à l’étranger se dégage de ses entraves. Néanmoins la prospérité de Ganges subit une nouvelle et grave atteinte provenant du triomphe de plus en plus complet de l’affreux pantalon long. Aussi la fabrication de la bonneterie pour hommes se restreint-elle de plus en plus, et, aujourd’hui même, se réduit à peu de chose. Ganges, à présent,

  1. Le Dictionnaire de l’abbé Expilly (1764), à l’article « Ganges », ne parle que des tanneries et de l’élevage, sans mentionner les fabriques de bonneterie.