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de politique et qui pourraient agir sur leurs élus. Mais la plupart des esprits affairés trouvent déjà la vie trop complexe et se refusent systématiquement à l’effort de réflexion qu’exige cette introduction d’une idée nouvelle dans la routine de leurs habitudes électorales. S’ils sont du parti qui détient le pouvoir, ils se préoccupent avant tout de l’y maintenir ; plus sa majorité est factice, plus ils sont hostiles à toute mesure qui pourrait accroître les forces de l’opposition. Les minorités, à leur tour, ne visent qu’à l’emporter par les vieilles méthodes, quand elles ne s’imaginent pas faire acte de patriotisme en refusant de travailler à l’affaiblissement d’une arme qu’elles comptent bien retourner contre leurs adversaires, le jour où elles deviendront majorité à leur tour.

En réalité, il n’est aucune opinion sincère qui ne gagnerait à trouver dans le régime représentatif plus de précision et d’équité. « Le principe que je défends, écrivait Stuart Mill, n’est ni tory, ni whig, ni radical ; il mérite de figurer au programme de tous les partis qui préfèrent à une série de succès fortuits un triomphe toujours fondé sur les principes de la justice. » Là est à la fois le mérite et la faiblesse de la représentation proportionnelle. Ce n’est pas seulement dans la politique active qu’on doit se faire violence pour échapper aux préoccupations de parti. Ici, il y a, en outre, à lutter contre des habitudes qui répondent à deux de nos instincts ancestraux les plus enracinés : — l’amour de la guerre, qui nous fait chercher dans une élection les émotions d’une bataille ; — la passion du jeu, qui nous fait préférer au fonctionnement régulier d’un distributeur automatique le tout ou rien de la loterie majoritaire. Et pourtant, nous devons bien nous pénétrer de cette vérité : aucune réforme du régime représentatif ne sera sérieuse et durable, si on ne la poursuit en dehors de tout esprit de parti, dans une intention de pacification sociale, et selon les principes de la justice distributive.


Cte GOBLET D’ALVIELLA.