Examinons une autre catégorie de travailleurs : le jouriste. C’est un faiseur de bas très exercé, qui, au sacrifice d’une année complémentaire d’apprentissage, s’est adonné à la confection des bas à jours de haut luxe, que recherchent aujourd’hui les Anglaises et les Américaines qui se fournissent dans les magasins ou font leurs commandes à Ganges[1].
Le « jouriste » que nous avons vu à l’œuvre, homme d’un certain âge, habite une rue étroite, mais propre ; comme tous ceux de la partie, il travaille à domicile, dans l’immeuble familial et dans la chambre où ses devanciers ont tissé avant lui, au moyen du même métier. Précisément, l’ouvrage qu’il exécute en ce moment, un bas blanc à jours à quatre dessins numéro 36, rappelle les anciennes spécialités du pays. La confection de cette paire lui rapportera 6 fr. 50, et encore l’ouvrier reçoit-il du fabricant le bas exécuté jusqu’aux entrées[2] ; presque toute la journée sera consacrée à finir la paire, y compris les dessins (qui orneront le cou-de-pied.
Il est inutile de dire que la spécialité de l’ « ajour, » complication du travail sur métier français, convient aussi bien à une femme qu’à un homme ; il est important d’ajouter que, contrairement aux apparences, les ouvrières n’atteignent pas, en matière de goût, la supériorité des ouvriers, et ne les égalent même pas au point de vue de l’exécution matérielle. Enfin il est clair qu’en ce qui concerne la difficulté vaincue, la confection de l’ « ajour » l’emporte en intérêt sur la monotone « fabrication » de l’uni. Aussi les spécialistes sont-Ils très fiers de leur profession.
Quant aux opérations indispensables de nouage, couture, à l’apprêt facultatif de la broderie en semis, à l’addition des « baguettes, » ces mêmes travaux s’exécutent encore invariablement à forfait, la plupart du temps à domicile, exceptionnellement par la main des hommes, presque toujours par les doigts des femmes. A celles-ci sont réservées, bien entendu, les broderies sur le tissu.
Malgré l’importance relative de sa population qui, avec les communes limitrophes de Cazilhac et de Laroque, dépasse cinq
- ↑ Les industriels de Ganges sont fiers à juste titre d’avoir travaillé pour le
trousseau de plus d’une princesse de sang royal ou impérial.
C’est sans doute à l’usage d’augustes clientes que furent préparés les chefs-d’œuvre d’une valeur de 120 francs la paire que le jury de l’Exposition de 1855 honora d’une médaille d’honneur. - ↑ Le coût de ce travail préliminaire est naturellement moindre que celui de l’ouvrage du spécialiste.